Sylvain Perrot
CNRS – UMR 7044 Archimède
Directeur adjoint de la MISHA
Secrétaire de l’ARELAS
Nos connaissances sur la pratique de la musique en Grèce remontent au moins aux temps minoens et mycéniens, grâce aux textes, images et vestiges que nous avons conservés. La poésie d’Homère est riche de références à des musiques qui se veulent déjà plurielles, formant un lien entre les hommes et les dieux mais aussi entre les Grecs et leurs voisins. La musique grecque ne s’est jamais déclinée au singulier, elle est forte de multiples héritages et échanges culturels. Il est vain de faire ici une histoire complète de ces musiques, qui requiert des connaissances encyclopédiques. L’objectif de cette page est plutôt d’inviter le lecteur à un petit voyage à travers les siècles, autour de quelques dates-clefs que peuvent accompagner des airs qui se sont transmis par voie écrite ou orale. J’espère susciter de l’intérêt et de la curiosité pour ce patrimoine en bonne partie immatériel, qui s’offre comme un bien commun à toutes et tous.
408 avant Jésus-Christ : Euripide produit son Oreste à Athènes
Une des plus anciennes partitions que nous ayons conservées de l’Antiquité a été composée pour cette tragédie. C’est un chant du choeur, interprété par les femmes d’Argos qui déplorent la folie qui frappe Oreste. La mélodie, inquiète et poignante, correspond à ce que nous savons du style d’Euripide, empreint de chromatismes. Le texte et son accompagnement musical sont conservés sur un papyrus de Vienne, connu et transposé depuis 1890, le système de notation grec nous étant parvenu grâce à quelques traités antiques. Si la mélodie et le rythme sont sûrs, toute reconstitution de musique antique fait appel à une part d’incertitude et d’imagination. Par exemple, en 2017, un choeur d’enseignants-chercheurs et d’étudiants a interprété la reconstitution établie par A. d’Angour à l’Ashmolean Museum d’Oxford, accompagné d’un aulos, copie exacte d’un exemplaire qui se trouve dans les réserves du musée du Louvre (à partir de 13’15).
128 avant Jésus-Christ : deux hymnes athéniens à Apollon retentissent à Delphes
Les plus longues partitions antiques ont été trouvées en 1893 par l’École française d’Athènes dans les ruines du trésor des Athéniens à Delphes et déchiffrées par Théodore Reinach. Toute une série d’inscriptions nous renseigne sur le contexte de leur exécution. Une cinquantaine de chanteurs et une dizaine d’instrumentistes (aulos et cithare), tous membres de la puissante corporation des musiciens d’Athènes, sont venus à Delphes dans le cadre d’une grande procession pour interpréter deux péans au dieu Apollon, d’une part exaltant les victoires du dieu contre le serpent Python et l’invasion galate de 279 avant Jésus-Christ, et d’autre part vantant les liens ancestraux qui unissent Athènes et Delphes. Nous sommes en 128 avant Jésus-Christ, à un moment où ces artistes sont en grande rivalité avec la corporation de l’Isthme et de Némée. A. Bélis a proposé en 1992 l’édition de référence de ces deux hymnes, qu’elle interprète avec l’ensemble Kérylos.
Entre 720 et 749 : l’hymnographe Jean Damascène travaille à son Oktoechos
Si la musique des premiers Chrétiens se fait dans la continuité des usages antiques, comme en témoigne l’hymne à la Trinité conservée sur un papyrus d’Oxyrhynchus du IVe siècle, cet héritage s’amenuise peu à peu au profit d’autres influences qui confèrent à la musique liturgique byzantine son originalité. En pleine crise iconoclaste, Jean Damascène ne fut pas seulement un farouche défenseur des icônes, mais aussi un des premiers grands hymnographes, contribuant à fixer le système sur lequel se fonde encore aujourd’hui le chant dans la liturgie de rite grec : l’oktoechos, un ensemble de huit modes prédéfinis (quatre « authentes » et quatre « plagiaux »). À chaque semaine correspond un de ces modes. L’interprétation se fait par un chantre ou un choeur d’hommes a capella, et le seul accompagnement autorisé est l’ison, une note continue grave qui souligne le mode employé. Une des hymnes byzantines les plus célèbres est le Tropaire pascal, commémorant la résurrection du Christ et chanté habituellement sur le ton 5. Le voici dans l’interprétation de Petros Gaitanos.
Χριστὸς ἀνέστη ἐκ νεκρῶν, Christ est ressuscité d’entre les morts,
θανάτῳ θάνατον πατήσας, foulant la mort par la mort
καὶ τοῖς ἐν τοῖς μνήμασι, et à ceux dans les tombeaux
ζωὴν χαρισάμενος ! accordant la vie !
25 mars 1821 : les chants d’insurrection contre la domination ottomane
L’histoire raconte que pour les 5000 paysans réunis autour de lui à Patras, le patriarche Germanos entonne une doxologie. Les insurgés ont pu compter sur l’aide des bandes de brigands armés habitués à rançonner les riches pour redistribuer leur butin aux pauvres, les klephtes (« voleurs »). Ils deviennent une force de libération sous la houlette des généraux Makriyannis et Kolokotronis. Principalement actifs en Épire et dans le Péloponnèse, ils puisent dans les traditions locales leur musique et leur danse typique, le tzamiko, une danse épirote où les hommes sont en ligne ou en cercle ouvert. Ils sont devenus des figures quasi mythiques, auréolés d’une image romantique, que leurs chants (les klephtika) ont contribué à façonner. Les principaux thèmes en sont la mort de l’un des leurs ou leur mode de vie nomade et au jour le jour. Voici un des plus célèbres, La vie des klephtes, par Lakis Pappas.
Μαύρη, μωρέ, μαύρη ζωή που κάνουμε (x 2) Noire, mon gars, et amère est la vie que nous menons,
εμείς οι δόλιοι κλέφτες, εμείς οι δόλιοι κλέφτες (x 2). Nous les Klephtes rusés, nous les Klephtes rusés.
Ποτέ, μωρέ, ποτέ μας δεν αλλάζουμε (x 2) Jamais, mon gars, jamais nous ne nous changeons.
Ποτέ μας δεν αλλάζουμε, και δεν ασπροφοράμε (x 2). Jamais nous ne nous changeons, ni ne portons de blanc.
Καβά-, μωρέ, καβάλα πάμ’ στην εκκλησιά (x 2) À cheval, mon gars, à cheval nous allons à l’église.
καβάλα πάμ΄ στην εκκλησιά, καβάλα προσκυνάμε (x 2) À cheval nous allons à l’église, à cheval nous nous prosternons.
Με φό-, μωρέ, με φόβο τρώμε το ψωμί (x 2) Avec crainte, mon gars, avec crainte nous mangeons le pain.
Με φόβο τρώμε το ψωμί, με φόβο τραγουδάμε (x 2) Avec crainte nous mangeons le pain, avec crainte nous avançons.
Όλη-, μωρέ, ολημέρις στον πόλεμο (x 2) Toute la journée, mon gars, toute la journée à la guerre.
Ολημέρις στον πόλεμο, το βράδυ καραούλι (x 2) Toute la journée à la guerre, le soir on veille.
14 juin 1821 : l’insurrection crétoise et les traditions musicales anciennes
Les Crétois se révoltent eux aussi et l’emportent sur les Turcs près de La Canée. En l’absence de soutien international, la Crète reste cependant ottomane jusqu’en 1913 malgré plusieurs révoltes. Ce mouvement de contestation fut l’occasion de remettre au goût du jour les traditions musicales héritées de Byzance et influencées par les pratiques ottomanes. Parmi les plus anciennes chansons crétoises figurent les rizitika (les « chants de racine ») interprétés à l’origine a capella. On distingue les rizitika tis stratas (« de la rue ») et les rikitika tis tavlas (« de la table »). Le compositeur crétois contemporain Yannis Markopoulos a largement contribué à constituer un canon de ces chants au début des années 1970, avec le chanteur Nikos Xylouris. Parmi les chansons crétoises traditionnelles figurent aussi l’Erotokritos et les tabachaniotika, souvent joués sur l’instrument emblématique de la Crète, la lyra.
1865 : l’Hymne à la liberté de Dionysios Solomos devient l’hymne national grec
En 1832 est créé le royaume de Grèce qui comprend alors l’Attique, le Péloponnèse, la Grèce centrale et l’Étolo-Acarnanie. En 1863, la Grande-Bretagne lui rétrocède les Heptanisa (les sept îles ioniennes). En 1865, le roi Georges Ier, en visite à Corfou, entend l’Hymne à la liberté que Dionysios Solomos, né 25 ans plus tôt à Zakynthos, avait écrit à Zante en 1823 et que son ami Nikolaos Mantzaros avait mis en musique dès 1828 : il était en effet devenu l’hymne non officiel des Heptanisa. Le poème compte à l’origine 158 strophes, mais seules les deux premières constituent officiellement l’hymne. Solomos avait fait le choix d’écrire le texte en grec « démotique », c’est-à-dire le grec parlé par la population, en opposition à la katharevousa de la tradition littéraire qui cherchait à se rapprocher du grec ancien. Depuis 1966, c’est aussi l’hymne de la République de Chypre. L’usage veut que l’hymne soit interprété à chaque cérémonie de clôture des Jeux Olympiques.
Σε γνωρίζω από την κόψη, Je te reconnais au tranchant
Του σπαθιού την τρομερή, De ton glaive redoutable ;
Σε γνωρίζω από την όψη, Je te reconnais à ce regard rapide
Που με βια μετράει τη γη. Dont tu mesures la terre.
Απ’ τα κόκαλα βγαλμένη, Sortie des ossements
των Ελλήνων τα ιερά, Sacrés des Hellènes,
Και σαν πρώτα ανδρειωμένη, Et forte de ton antique énergie,
Χαίρε, ω χαίρε Ελευθεριά. (× 3) Je te salue, je te salue, ô Liberté ! (× 3)
1908 : fondation de l’École nationale grecque par Manolis Kalomiris
Né à Smyrne en 1883, Manolis Kalomiris est la figure de proue de la musique grecque savante de la première moitié du XXe siècle. Très influencé par Kostis Palamas et Nikos Kazantzakis, admirateur de la musique de Wagner et de Rimsky-Korsakov, il publie en 1908 un manifeste appelant à la fondation d’une « École Nationale » de musique grecque. Il s’est principalement fait connaître pour sa première symphonie (Levendia, « Bravoure »), où il témoigne de son goût pour des effets dramatiques et pathétiques, dans une orchestration riche et brillante. Sa volonté de promouvoir le patrimoine culturel grec se voit tout particulièrement dans l’orchestration qu’il a faite de chansons traditionnelles et dans ses Trois danses grecques (1937), un ballos, une danse idyllique et une danse de Tzaconie (Péloponnèse), ouvrant la voie à d’autres compositeurs comme Nikos Skalkottas.
1913 : la fin des guerres balkaniques et les danses de Grèce du Nord
Après deux ans de guerre contre l’empire ottoman puis la Bulgarie, le premier ministre grec Eleftherios Venizelos réussit en partie la « Grande Idée » de rassembler tous les Grecs dans un même État-nation : l’Épire, la Macédoine, la Crète et les îles égéennes sont intégrées au royaume. Ce nationalisme triomphant repose sur une communauté linguistique et culturelle, en quête de ses racines antiques et byzantines, après des siècles de domination ottomane et les influences qui l’ont accompagnée. Parmi les danses qui remontent à l’époque byzantine et qui étaient particulièrement en ferveur en Macédoine et à Constantinople, le hasapiko et ses variantes (notamment le hasaposerviko, plus rapide) occupent une place importante : originellement danse de la guilde des bouchers (kasap en turc), le hasapiko (ou makellarios en grec) est une danse à quatre temps, pouvant être jouée sur des instruments traditionnels, comme le kanonaki, le sandouri, le tambouras et la lyra. Dans son album Mediterraneo, l’ensemble Arpeggiata de Christina Pluhar a enregistré un hasapiko rapide.
1922 : la « Grande Catastrophe » et le rebetiko
En septembre 1922, le violent incendie qui ravage Smyrne à la suite de la conquête de la ville par les nationalistes turcs provoque la mort violente de très nombreux Chrétiens et l’exil forcé de ceux qui ont survécu. Ce phénomène migratoire s’accentue avec le traité de Lausanne de 1923 qui prévoit un échange de population entre Grèce et Turquie. 1 300 000 réfugiés arrivent en Grèce et s’installent pour une partie à Athènes dans les quartiers de Nea Smyrni et Nea Ionia. Ils apportent avec eux leur musique, notamment le rebetiko dans le style de Smyrne, qui se caractérise par une instrumentation large, la virtuosité des musiciens et un registre de voix plutôt aigu. Les thèmes dominants en sont l’amour, la douleur et la séparation. À côté se développe le style du Pirée, qui voit surtout l’utilisation du bouzouki, du baglama et de la guitare, dans un registre plutôt grave : il est propre à ceux qui se sont installés au Pirée pour des raisons économiques. Le rebetiko se politise à cause de la censure de Metaxa dans les années 1930, et d’autres thèmes font leur apparition : le haschisch et l’alcool dans une société anti-système. Dans les années 1950, Vassilis Tzitzanis donne ses lettres de noblesse au rebetiko, le faisant sortir des tekkés du Pirée pour les tavernes cossues d’Athènes. Dans les années 1970, Giorgos Dalaras en sera le plus brillant ambassadeur.
Το ‘ξερα μια μέρα πως θα ‘ρθεις Je savais qu’un jour tu viendrais
και τις τρέλες σου θα βαρεθείς Et que tu serais accablé par tes folies,
Μη μου ξαναφύγεις πια, μάγκα μου Ne repars plus jamais, mon gars,
Μείνε μες στην αγκαλιά μου Reste dans mes bras
Ήταν άδικος ο χωρισμός Notre séparation était injuste
και ανυπολόγιστα σκληρός Et d’une incommensurable dureté
Μη μου ξαναφύγεις πια… Ne repars plus jamais…
Βρέθηκα στη στράτα της ζωής Je me suis retrouvée sur les chemins de la vie
δίχως μάνα, δίχως συγγενείς Sans mère, sans famille,
Μη μου ξαναφύγεις πια… Ne repars plus jamais…
1942 : lutter « avec les chants, les armes et les épées »
Le 30 mai 1941, Manolis Glezos et Apostolos Santas décrochent le drapeau nazi installé sur l’Acropole. C’est le symbole d’une résistance grecque qui mène une lutte acharnée contre l’occupant. Les résistants grecs ont leurs chants, les antartika, dont Ήρωες, Les héros. La chanson alterne des strophes à l’allure martiale et des strophes plus lyriques et pathétiques, où la mort est dépeinte comme le « frère noir ». Outre l’Olympe et le Parnasse, où se nichent certains combattants, quelques hauts lieux du courage grec sont évoqués, du pont de l’Alamana qui voit la victoire des Grecs sur les Ottomans le 23 avril 1821 à celui de Gorgopotamos, saboté le 25 novembre 1942 par 150 résistants grecs avec l’aide des Britanniques. La chanteuse Maria Dimitriadi a consacré en 1981 un album à ces chants de la résistance grecque, dans une orchestration de Thanos Mikroutsikos.
Ήρωες, άπαρτα βουνά. Héros, montagnes imprenables,
Ήρωες, με δώδεκα ζωές, Héros aux douze vies,
κάστρα του Ολύμπου Forteresses de l’Olympe
και του Παρνασσού φαντάσματα, Et fantômes du Parnasse,
ήρωες μες στα χαλάσματα. Héros au milieu des ruines.
Αίματα, κόκκινο νερό, Coulées de sang, eau rouge,
αίματα, ποτάμι βουερό, Coulées de sang, fleuve bruyant,
πυρ στην Αλαμάνα Feu à l’Alamana,
και φωτιά στο Γοργοπόταμο Flammes au Gorgopotamos,
και φωτιά στο Γοργοπόταμο. Flammes au Gorgopotamos,
Εμπρός αδέρφια εμπρός Allons, mes frères, allons !
κι είναι μαζί μας ο λαός Le peuple est avec nous
στα πιο μεγάλα μας τα κατορθώματα Dans nos plus grandes réalisations
μες στις πέτρες και στα χώματα. Au milieu des pierres et de la poussière.
Θάνατος, μαύρος αδερφός. Mort, frère noir,
Θάνατος, θα γίνω αθάνατος, Mort, je serai immortel,
πυρ στην Αλαμάνα Feu à l’Alamana,
και φωτιά στο Γοργοπόταμο Flammes au Gorgopotamos,
και φωτιά στο Γοργοπόταμο. Flammes au Gorgopotamos,
Αέρας στις κορφές Vent sur les cimes,
μαύρο φεγγάρι στις καρδιές Lune noire dans les coeurs,
έλα και πάρε μόνος σου τη λευτεριά Viens et prends seul la liberté
με τραγούδια, όπλα και σπαθιά. Avec des chants, des armes et des épées
1961 : un Oscar pour la liberté d’Ilya
« Jamais le dimanche » : voilà comment Ilya, prostituée populaire, libre et indépendante, éconduit ses prétendants-clients une fois par semaine. Parodie du Stella de Michael Kakoyannis où Melina Mercouri tenait le premier rôle, le film de Jules Dassin (1960) fait la part belle à la musique de Manos Hadjidakis qui reçut l’Oscar de la meilleure musique de film. Chanteuse de rebetiko, Ilya séduit le brave Américain Homer qui se rêve nouveau Pygmalion face à sa fair lady. On connaît la chanson phare, Τα παιδιά του Πειραιά, Les enfants du Pirée, qui s’annonce dans les grésillements de la platine vinyle. Elle dévoile l’intimité d’une femme partagée entre sa soif de liberté et son désir de fonder une famille, à la recherche d’un homme qui puisse partager sa joie de vivre. Le port devient la métaphore de son amour pour l’homme qui pourrait ravir son coeur.
Aπ’ το παράθυρό μου στέλνω Depuis ma fenêtre j’envoie
ένα δύο και τρία και τέσσερα φιλιά Un, deux et trois et quatre baisers
που φτάνουν στο λιμάνι qui arrivent au port
ένα και δύο και τρία και τέσσερα πουλιά un et deux et trois et quatre oiseaux
Πώς ήθελα να είχα ένα και δύο Comme je voudrais en avoir
και τρία και τέσσερα παιδιά un et deux et trois et quatre enfants
που σαν θα μεγαλώσουν όλα qui quand ils grandiront tous
θα γίνουν λεβέντες για χάρη του Πειραιά deviendront des braves gars pour l’amour du Pirée
Όσο κι αν ψάξω, δεν βρίσκω άλλο λιμάνι Autant que je cherche, je ne trouve un autre port
τρελή να με `χει κάνει, όσο τον Πειραιά qui me rende folle autant que Le Pirée
Που όταν βραδιάζει, τραγούδια μ’ αραδιάζει qui, quand le soir arrive, ses chansons déroule
και τις πενιές του αλλάζει, γεμίζει από παιδιά change ses accords, et se remplit de garçons
Aπό την πόρτα μου σαν βγω De ma porte dès que je sors
δεν υπάρχει κανείς που να μην τον αγαπώ il n’y en a pas un que je n’aime pas
και σαν το βράδυ κοιμηθώ, ξέρω πως et quand le soir je m’endors,
ξέρω πως, πως θα τον ονειρευτώ je sais que, je sais que je rêverai de lui
Πετράδια βάζω στο λαιμό, και μια χά Je mets une parure de pierres autour du cou,
και μια χά , και μια χάντρα φυλακτό et une perle en amulette
γιατί τα βράδια καρτερώ, στο λιμάνι σαν βγω parce que le soir quand je sors sur le port j’attends
κάποιον άγνωστο να βρω quelque inconnu à rencontrer
Όσο κι αν ψάξω.. Autant que je cherche…
1964 : le sirtaki de Zorba
Adapté du roman Alexis Zorba de Nikos Kazantzakis (1946), le film de Michael Cacoyannis, Zorba le Grec, s’achève sur le fameux sirtaki composé par Mikis Theodorakis, chorégraphié par Giorgos Provias et interprété par Anthony Quinn. Cette danse n’est pas authentique : c’est plutôt un assemblage de trois danses différentes, un hasapiko lent, un hasapiko rapide et un hasaposerviko, d’où l’accélération progressive du tempo qui en fait la renommée. Le nom a été forgé comme un diminutif de syrtos, qui désigne un groupe de danses traditionnelles, qui en Crète est une danse exclusivement d’hommes. La danse a un vrai rôle dramatique dans le film : Zorba avait expliqué à Basil, joué par Alan Bates, que la danse peut tout exprimer, du chagrin à la colère.
1969 : Z ou l’enfant rieur
Le 23 mai 1963, le député communiste Grigoris Lambrakis, qui condamnait les dérives autoritaires du régime, est assassiné à Thessalonique. Le pays s’enfonce dans une crise politique qui favorise le coup d’État des colonels le 21 avril 1967, qui interdisent la musique de Mikis Theodorakis, ami de Lambrakis, et les chants des Jeunesses Lambrakis. Lambrakis est rapidement devenu un symbole et sur les murs fleurissent des « Z », abréviation de Ζεί, « il est vivant ». C’est le titre du célèbre film que Costa-Gavras a consacré à l’événement, adaptant le livre de Vassilis Vassilikos et souhaitant que Theodorakis compose la musique. Mais celui-ci est alors emprisonné et avec son accord, le réalisateur choisit quelques chansons qui appartiennent déjà à son répertoire. L’une d’entre elles devient iconique : Το γελαστό παιδί, « l’enfant rieur », que Theodorakis avait composée pour L’otage, une pièce du dramaturge irlandais Brendan Behan mettant en scène un jeune militant de l’IRA qui doit être exécuté et un jeune anglais enlevé par l’IRA en représailles. La chanson suscite toujours une forte émotion, ainsi au mémorable concert du stade Karaiskakis en 1974 qui a suivi de peu la chute de la junte, où Theodorakis la fait entendre avec sa fidèle interprète, Maria Farandouri.
Ήταν πρωί του Αυγούστου κοντά στη ροδαυγή C’était un matin d’août peu avant l’aube de rose
βγήκα να πάρω αέρα στην ανθισμένη γη je suis sorti prendre l’air sur la plaine fleurie
βλέπω μια κόρη κλαίει σπαραχτικά θρηνεί je vois une fille en pleurs, qui se lamente dans les larmes,
σπάσε καρδιά μου εχάθη το γελαστό παιδί mon coeur s’est brisé, l’enfant rieur avait disparu
Είχεν αντρεία και θάρρος και αιώνια θα θρηνώ Il avait de la vaillance et du courage, et je me lamenterai une éternité
το πηδηχτό του βήμα το γέλιο το γλυκό Sur son pas sautillant, son rire, sa douceur.
ανάθεμα την ώρα κατάρα τη στιγμή Maudite soit l’heure, maudit l’instant fatal
σκοτώσαν οι εχθροί μας το γελαστό παιδί où nos ennemis ont tué le garçon rieur.
Μον’ να `ταν σκοτωμένο στου αρχηγού το πλάι Si encore il avait péri avec le chef à ses côtés
και μόνον από βόλι Εγγλέζου να `χε πάει Si encore il était mort sous les balles de l’Anglais,
κι από απεργία πείνας μέσα στη φυλακή D’une grève de la faim en prison,
θα `ταν τιμή μου που `χασα το γελαστό παιδί C’eût été un honneur que je perde le garçon rieur
Βασιλικιά μου αγάπη μ’ αγάπη θα στο λέω Mon amour majestueux, je te le dis avec amour
για το ό,τι έκανες αιώνια θα σε κλαίω Pour tout ce que tu as fait, je te pleurerai une éternité
γιατί όλους τους εχθρούς μας θα ξέκανες εσύ Parce que tous nos ennemis tu les aurais anéantis
δόξα τιμή στ’ αξέχαστο γελαστό παιδί Gloire et honneur à l’inoubliable garçon rieur.
1984 : le Nobel et la poésie des femmes
Après Giorgos Seferis en 1963, Odysseas Elytis reçoit en 1979 le prix Nobel de littérature pour son oeuvre poétique, qui inspire plusieurs compositeurs et compositrices, notamment Angélique Ionatos. La rencontre a lieu en 1984 rue Skoufa et inaugure une série d’entretiens entre les deux artistes, qui aboutissent notamment en 1988 à la mise en musique du Monogramme qu’Elytis avait publié en 1972. En 1985, il publie un livre sur Sappho qui inspire à la compositrice un album qu’elle produit en 1991 avec sa consoeur Nena Venetsanou, Sappho de Mytilène. Ionatos dira : « Au lieu de me sentir étrangère à cette émotion d’une langue dite “morte” je me suis sentie comme chez moi. Comme si je marchais sur un territoire déjà connu. Une odeur que j’aurais oubliée, enfouie dans ma prime jeunesse – et qui venait m’inonder de sa familiarité. Un chant ancien à jamais inscrit dans ma mémoire. J’étais à la fois étrangère et membre de la famille ».
1985 : le onzième commandement
En 1943, le poète Nikos Gatsos publie Amorgos, un long poème écrit en une nuit, en écriture automatique : c’est un des représentants majeurs du surréalisme grec. Il s’est surtout fait connaître comme auteur de chansons en travaillant avec Manos Hadzidakis, notamment pour le film America, America d’Elia Kazan (1963). Il se lie d’amitié avec la chanteuse crétoise Nana Mouskouri, qui aura contribué à populariser la musique grecque sur la scène internationale. L’album Gloria eterna (2003) reprend les principaux titres qui les ont réunis. Certains ont été mis en musique par M. Hadzidakis, comme l’incontournable Μίλησε μου (d’abord interprété par Grigoris Bithikotsis) ou Αθήνα, d’autres par Giorgos Hadzinasios, comme Ήλιε που χάθηκες et peut-être le titre le plus intriguant, écrit en 1985, Η ενδεκάτη εντολή, Le onzième commandement, « qui est un verre très pur et un couteau tranchant ».
Ρίξ’ ένα βλέμμα σιωπηλό Jette un coup d’oeil silencieux
στον κόσμο τον αμαρτωλό sur le monde pécheur
και δες η γη πως καίει. et vois comment la terre brûle
Και με το χέρι στην καρδιά Et avec la main sur le coeur
αν δε σ’ αγγίξει η πυρκαγιά, si l’incendie ne te touche pas
ψάξε να βρεις ποιος φταίει. essaie de trouver qui est en faute.
Σα χαμοπούλι ταπεινό Comme un humble petit oiseau
που δεν εγνώρισ’ ουρανό qui n’a pas connu le ciel
και περπατάει στο χώμα, et marche sur le sol.
την ενδεκάτη εντολή Le onzième commandement
δεν την σεβάστηκες πολύ tu ne l’as pas respecté suffisamment
γι’ αυτό πονάς ακόμα. et c’est pour cela que tu souffres encore.
Την ενδεκάτη εντολή Le onzième commandement
δεν την σεβάστηκες πολύ tu ne l’as pas respecté suffisamment
γι’ αυτό πονάς ακόμα. et c’est pour cela que tu souffres encore.
Είναι καινούργια και παλιά C’est nouveau et ancien
σαν της ψυχής την αντηλιά, comme l’éblouissement de l’âme
σαν της καρδιάς τα βάθη. comme les profondeurs du coeur.
Μα μες του κόσμου τη φωτιά Mais au milieu des flammes du monde
που μπερδευτήκαν τα χαρτιά où les papiers s’emmêlent,
κανείς δε θα τη μάθει. personne ne le saura.
Τράβα να βρεις τον Μωυσή Va trouver Moïse
και ξαναρώτατον κι εσύ et demande-lui encore une fois
μήπως αυτός την ξέρει si jamais lui le connaît
την ενδεκάτη εντολή le onzième commandement
που `ν’ ολοκάθαρο γυαλί qui est un verre très pur
και κοφτερό μαχαίρι. et un couteau tranchant.
Την ενδεκάτη εντολή le onzième commandement
που `ν’ ολοκάθαρο γυαλί qui est un verre très pur
και κοφτερό μαχαίρι. et un couteau tranchant.
Στην παγωμένη σου ερημιά Dans ta solitude glacée
το γέλιο γίνεται ζημιά le sourire devient préjudice
κι η ομορφιά σκοτάδι. et la beauté obscurité
Έτσι είναι φίλε μου η ζωή C’est ainsi la vie, mon ami,
φέρνει τον ήλιο το πρωί Le matin apporte le soleil
την καταχνιά το βράδυ. Et le soir la brume.
Κάνε λοιπόν υπομονή Prends donc patience
τώρα που φως δε θα φανεί maintenant qu’aucune lumière n’apparaîtra
κι ούτε θα `ρθει καράβι. et qu’aucun bateau non plus n’apparaîtra,
Την ενδεκάτη εντολή Le onzième commandement
την ξέρουν μόνο οι τρελοί Ce sont seulement les fous qui le savent
κι όλοι της γης οι σκλάβοι. et tous les esclaves de la terre.
Την ενδεκάτη εντολή Le onzième commandement
την ξέρουν μόνο οι τρελοί Ce sont seulement les fous qui le savent
κι όλοι της γης οι σκλάβοι. et tous les esclaves de la terre.
Très intéressant. Prendre son temps à l’écoute des archives musicales.