Selon une étude de Trip-Advisor, la Crète est 5e au classement des destinations les plus appréciées au monde. Figurent dans l’ordre Paris, Londres, Rome, Bali et… la Crète. Voilà qui est peut-être – sans doute ? – mérité…

Il serait surtout intéressant de connaître les raisons de ce classement : la désaffection contrainte de certains pays jugés dangereux, la garantie du beau temps, la mer, le bon rapport qualité/prix, l’hospitalité, les sites, etc. ? Ou la présence de ces vraies valeurs qui existent encore mais qu’il faut parfois chercher au détour d’un chemin, dans une taverne perdue ou même chez un coiffeur ? Il est vrai que la connaissance qu’ont les Crétois de leur passé et la référence continuelle à ses valeurs forcent notre admiration.

C’était au début novembre 1986. Je me promenais sur le plateau du Lassithi où tournaient encore allègrement les voiles des fameuses éoliennes, même si elles commençaient déjà à être concurrencées par les pompes mécaniques. Soudain, au détour d’une route agricole, apparut au loin un couple de vieux Crétois, lui marchant derrière sa charrue attelée à deux bœufs en train de labourer son champ, elle à remplir son tablier des quelques pommes de terre oubliées au moment de la récolte. Si ces deux vieux Crétois s’étaient arrêtés là, à cet instant, on les aurait crus sortis tout droit de l’Angélus de Millet ! Mais ils ne s’arrêtèrent pas là. Le vieux Crétois se dirigea vers moi et m’interpella : « Bonjour, l’étranger, comment vas-tu ? »

Et d’ajouter, fier ou honteux, je ne savais a priori : « Tu vois, étranger, je cultive mon champ comme à l’époque d’Homère. Homère, tu connais ? »

Ce vieux Lassithiote se revendiquait donc d’Homère. Il en était fier. C’était en quelque sorte, plus qu’un ancien Grec, son compatriote, voire son contemporain.

Deux ans plus tard, je gravissais la rude pente menant au sommet du Mont Ida. L’eau commençait à manquer et la fatigue à me gagner. À côté de la sentine, un buron de berger semblait m’inviter à m’y reposer. J’en franchis le seuil et je découvris à mes pieds un petit ouvrage que je m’empressai de ramasser pour le feuilleter. Était-ce un policier ? Un roman à l’eau de rose? Non ! La vie d’Alexandre le Grand !

Trente ans plus tard, me voici chez Michaelis, mon coiffeur crétois à Tymbaki. Trois autres clients attendent leur tour en devisant de choses et d’autres. Arrive un autre Crétois, un peu plus pressé que les autres de se faire couper les cheveux. Comme Michaelis lui demande de patienter un peu, le client lui cite un texte remontant à une guerre – peu importe laquelle – dans son dialecte crétois dont j’ignore malheureusement l’essentiel. Toujours est-il que dans cette phrase il a utilisé la négation grecque ancienne « ou ». S’en est suivie une discussion d’un bon petit quart d’heure à laquelle participèrent tous les clients au sujet de ce « ou ». Le salon de coiffure se transforma d’un seul coup en une petite université où on parla d’Homère, de Xénophon, de Thucydide, d’Aristophane… Et où on parla de l’intérêt pour les jeunes Grecs d’apprendre le grec ancien.

La richesse de ces Crétois et des Grecs en général, c’est cet attachement à leur terre, à leur histoire, à leur langue.

Jean-Claude Schwendemann