Non ! Zorba n’est pas Anthony Quinn ; de même qu’on ne sait pas qu’Alexis Zorba est un roman de Nikos Kazantzaki avant d’être le film du réalisateur Michael Cacoyannis.

Le roman Alexis Zorba a été écrit en 1943, aux heures les plus sombres de l’occupation allemande. Le premier roman de Nikos Kazantzaki, avant Les frères ennemis, La Liberté ou la Mort, La Dernière tentation, Le Christ recrucifié, Le Pauvre d’Assise et La Lettre au Gréco.

C’est d’ailleurs la seule œuvre que connaisse le public, le plus souvent sans avoir lu le roman.
À remarquer d’ailleurs les libertés que prend Cacoyannis par rapport au roman à la fin du film : le sirtaki dansé par les deux personnages sur la plage de Stavros, au Nord de la presqu’île d’Akrotiri, est une danse créée pour le film alors que, dans le roman, Zorba danse un zeïbekiko, « une danse sauvage, une danse de guerriers. Celle que dansaient les partisans avant le combat ».

Georges-Alexis Zorbas a bien existé !

Né à Katafygio Kozanis en Macédoine, en 1867, il a exercé tous les métiers : berger, bûcheron, mineur en Chalcidique, où il enleva la fille du contre-maître, sa future femme à qui il fit le premier d’une douzaine d’enfants. À la mort de sa femme, il fut colporteur, ouvrier, bûcheron et mineur à nouveau, et contrebandier à ses heures. Un homme simple, épris de sa liberté, qui aimait manger, boire et danser, qui aimait les femmes, qui aimait la vie.

Kazantzakis le rencontre en 1915 au Mont Athos dans une exploitation de bois. Zorba a 48 ans, Kazantzaki 32. Zorba sait à peine lire. Tout l’opposé du jeune écrivain crétois qui fréquente les milieux intellectuels. Comme il veut exploiter une mine de lignite qui lui appartient à Prastova dans le Magne, et non pas en Crète, Kazantzaki y envoie Zorba comme contre-maître en février 1916 et ils travaillent ensemble jusqu’en septembre 1917.

Comme le charbon n’est pas de bonne qualité, l’exploitation s’arrête : « L’activité de lignite est allée au diable, écrit Kazantzaki dans La Lettre au Gréco, Zorba et moi nous avons fait tout ce qu’on pouvait faire pour aboutir, tout en riant, en jouant et en bavardant, à la catastrophe. »

Mais les deux hommes deviennent aussi parents par alliance. Lorsque Zorba vient travailler à la mine de Prastova, il y emmène une de ses filles, Anastasia, que va rencontrer Galatea Alexiou, la première femme de Kazantzaki. Prise de pitié pour cette orpheline de mère, Galatea l’invite à Athènes où elle rencontrera le frère de Galatea, Radamanthys, qui l’épousera. Nikos Kazantzaki et Zorba seront donc beaux-frères jusqu’en 1926, date à laquelle Kazantzaki divorcera.

Que représente Alexis Zorba dans l’œuvre et la philosophie de Nikos Kazantzaki ?

Kazantzaki est fasciné par cet homme d’action qu’il n’est pas et qu’il ne sera jamais. C’est en quelque sorte son alter ego. L’antagonisme entre les deux personnages se trouve à plusieurs niveaux :
– social avec un « patron » assez fortuné pour se faire entrepreneur face à un ouvrier qui sait tout faire et qui cherche un emploi ;
– culturel avec un Crétois, intellectuel et voyageur, face à un Macédonien imprégné de la culture orientale de sa région natale ;
– linguistique qui oppose un homme qui écrit et un autre qui parle ou danse ;
– idéologique même avec, face à face, un ancien nationaliste converti au bouddhisme et un libertaire quasiment nihiliste.

Zorba et la Crète

Pourquoi avoir localisé l’histoire de Zorba en Crète et non dans le Magne ? L’occasion sans doute pour le romancier de présenter la face sombre de la Crète de cette époque, celle de l’arriération culturelle, de la violence misogyne, de l’esprit grégaire… Une vision terrifiante, mais authentique de la Crète du début du XXe siècle.

Thanasis Karagiannis et Jean-Claude Schwendemann