CNOSSOS, LE PALAIS DE MINOS

« Le palais, à demi en ruine, et à demi reconstitué, rayonnait encore après plusieurs millénaires et fêtait à nouveau le puissant soleil de Crète. Ce palais n’offre pas aux yeux l’harmonie, l’architecture géométrique de la Grèce, c’est le règne de l’imagination, de la grâce et du libre jeu de la force créatrice de l’homme. Ce palais a grandi comme un organisme vivant, comme un arbre ; il n’est pas né d’un seul coup, suivant un plan précis tracé à l’avance ; il fut complété par jeu et adapté au fur et à mesure aux nouvelles nécessités. Ce n’était pas la logique, sévère et implacable, qui régnait ici ; l’esprit était utile, mais il n’était que le serviteur, et non pas le maître. Un autre était le maître, quel nom pouvons-nous lui donner ? » (Nikos Kazantzaki dans Lettre au Gréco)

Le site

Cnossos est le site le plus visité de Crète et le deuxième de Grèce après l’Acropole d’Athènes ! Justifié ou non, c’est le « produit phare » de la Crète !

Les croisiéristes se contentent souvent de voir Cnossos et le musée pour repartir en prétendant qu’ils ont vu la Crète !

Cité par Homère dans l’Odyssée comme faisant partie des 90 villes de Crète et gouvernée par Minos qui s’entretenait tous les neuf ans avec Zeus, elle serait aussi le lieu mythique où aurait vécu Minos, sa femme Pasiphaé, le fils de cette dernière, un monstre hybride, le Minotaure, leurs filles plus charmantes, Ariane et Phèdre, et qui aurait vu passer Thésée, fils du roi d’Athènes Égée, mais aussi Dédale et Icare, enfermés dans le labyrinthe.

Les fouilles

Après avoir trouvé en 1870 le site de Troie, Heinrich Schliemann est revenu en Grèce en 1874 et a entrepris des fouilles à Mycènes où il a exhumé, en particulier, la remarquable série des tombes à fosse et le « Trésor des Atrides ».

Après cette découverte, persuadé du lien entre Mycènes et Cnossos, il veut entreprendre des fouilles à Cnossos où il vient en 1889, guidé par Minos Kalokairinos. Malheureusement, les exigences financières des Turcs le dissuadent d’acheter le terrain.

Et lorsque la Crète se libère du joug ottoman en 1898. Schliemann est mort depuis huit ans !

En fait, le site de Cnossos a été découvert en 1878-1879 par Minos Kalokairinos, un commerçant d’Héraklion au prénom prédestiné. Il dégage 55 mètres de la façade occidentale, six magasins avec douze pithoi, deux corridors et une partie de la Salle du trône. Et il contribue à fonder le premier Musée archéologique à Héraklion. Kalokairinos n’a pas son buste sur le site de Cnossos, mais une grande artère d’Héraklion porte son nom. En 1883, le Dr Hadzidakis est autorisé à poursuivre quelques fouilles. Mais, on s’arrête là : les Crétois craignent que les vestiges trouvés ne partent dans les musées d’Istanbul.

En 1890, l’Italien Federico Halbherr et le Français André Joubin et, en 1894, l’Anglais Arthur Evans s’intéressent au site ; les négociations françaises sont en bonne voie, mais l’École française d’Athènes est très occupée par ses découvertes à Delphes et Délos.

En 1899, un an après la libération de la Crète, Arthur Evans, un journaliste anglais de 49 ans, un ethnologue et un amateur d’écritures anciennes qui veut retrouver des tablettes d’écriture sur ce site, achète le terrain et commence les fouilles le 23 mars, persuadé d’avoir trouvé les ruines du palais du roi Minos. Selon Evans, la Crète était un royaume. Il lui faut donc trouver un roi et une iconographie royale, d’où la fresque qu’il appellera du Prince aux fleurs de lys alors qu’il s’agit vraisemblablement de la représentation d’un …boxeur.

Mais depuis Evans, l’archéologie et les techniques ont changé ; les archéologues font appel aux sciences exactes les plus modernes telle la syntaxe spatiale qui permet de déterminer et d’analyser les déplacements humains et, de ce fait, l’usage des palais.

Selon Evans, il y avait là un palais de 1200 pièces -séparées par des cloisons de bois- sur quatre à cinq étages dont deux à trois, en sous-sol. La première découverte fut celle de la Salle du trône.

Le palais de Cnossos a continué d’être fouillé et restauré par l’École d’archéologie anglaise.

Mais les fouilles d’Evans et la restauration du palais restent contestées : un archéologue l’a décrite comme une « cité cinéma ». Jan Dryssen estime que les palais minoens tels que les imaginait Arthur Evans sont une « vue de l’esprit » ! Ce qui remet en cause l’existence d’un roi Minos et d’un régime monarchique en Crète (on n’a identifié aucune véritable tombe royale en Crète minoenne). Entre 1993 et 1994, un débat a opposé ceux qui ont voulu raser tout le palais pour en retrouver les fondations et ceux qui auraient préféré restaurer l’édifice actuel. C’est cette dernière solution qui l’a emporté, mais sans doute pour de simples raisons financières ! Quand la manne du tourisme représente près de la moitié du P.I.B. de la Crète, on y réfléchit à deux fois avant de détruire un site qui attire des centaines de milliers de touristes chaque année…

L’histoire de Cnossos

–       Le site est habité dès l’époque néolithique : sous le palais on a même trouvé une ville fréquentée à partir du VIe millénaire ;

–       le premier palais est construit en 2000 av. J.-C. et détruit par un séisme vers 1750 ;

–       un deuxième palais est reconstruit et détruit vers 1450 ou 1520 (par guerre, invasion, catastrophe naturelle ?) ;

–       entre 1450 et 1425, un nouveau pouvoir s’installe avec une élite d’origine continentale ; selon Lawrence Durrell, la ville pouvait compter alors quelque 30 000 habitants ce qui en aurait fait « l’une des grandes villes du monde » ;

–       le palais est reconstruit et détruit vers 1300 ; ce que nous avons devant les yeux est donc contemporain ou même postérieur à Toutankhamon (XVIIIe dynastie : 1354-1343) ; c’est alors le seul et dernier palais en Crète ;

–       au XIVe siècle, les Mycéniens s’y installent ; c’est de cette époque que datent la Salle du trône et surtout les tablettes en linaire B ;

–       au IVe siècle av. J.-C., Cnossos est encore la ville la plus importante de Crète mais en rivalité avec Gortyne ;

–       en 67 av. J.-C., Cnossos est définitivement détruite par un tremblement de terre. Et Gortyne devient la capitale de la province romaine de Crète et de Cyrénaïque.

Situation géographique et stratégique

Cnossos est situé sur la rive gauche du Kairatos qui se jette dans la mer Égée ; l’archéologue grec Nicolas Platon a retrouvé en 1951 les installations portuaires de Cnossos à Poros et Amnisos.

Un palais sans aucune protection, sous la forme d’un bastion ou d’un mur, plusieurs fois reconstruit sans ouvrages fortifiés. D’ailleurs, selon certains archéologues, il ne s’agirait pas de la demeure du roi, car le palais n’aurait pas été construit pour résister à l’ennemi. Mais la Crète avec sa puissance navale –la thalassocratie-, et sans conflit intérieur, avait-elle besoin de protéger ses palais ?

Plan général du palais

 

On trouve une analogie aussi au niveau du plan général avec

· une cour centrale typique des temples de Mésopotamie et d’Égypte même si les cours des temples mésopotamiens et égyptiens s’insèrent dans la construction d’ensemble (dans un ordre injonctif) alors que dans les palais minoens la cour centrale est à l’origine et que les autres bâtiments se sont regroupés autour d’elle (dans un ordre conjonctif) ;

· à l’Ouest, des sanctuaires et des appartements (trésors, archives, magasins cultuels) ;

· à l’Est, des appartements royaux, des pièces royales officielles, des ateliers, des pièces de service ;

· des entrées (entrée Ouest, la plus importante comme à Malia ; entrée Nord ; et entrée Sud vers le port).

Le plan du palais Cnossos n’est ni rectiligne ni symétrique. Il s’agit en fait d’un regroupement de bâtiments ouverts sur l’intérieur et sur l’extérieur. Une construction agglutinante autour d’une cour dans laquelle les bâtiments sont édifiés sans véritable plan, au hasard des besoins de place et des surfaces bâties, les pièces ou corps de bâtiment étant ajoutés les uns aux autres par des cloisons ou des murs mitoyens.

 

Et il semblerait que le palais de Cnossos ait servi de modèle architectural pour la construction des autres palais.

Le labyrinthe ?

Les corridors enchevêtrés avec leurs virages à angle droit, ou plutôt le « dédale » des couloirs (pour rappeler le personnage de la mythologie) plaideraient en effet pour la théorie du labyrinthe, prison du Minotaure. Mais elle s’oppose à l’interprétation du palais – demeure royale ou même de la nécropole selon certains comme Hans Georg Wunderlich (Minos et la Crète, le secret de la civilisation européenne).

D’autres labyrinthes hypothétiques ont été trouvés ailleurs comme celui situé dans une grande grotte près de Gortyne.

Cnossos, ne pas perdre le fil d’ariane…

« Il ne faut pas vous imaginer le Palais de Cnossos comme une immense construction régulière, mais plutôt comme une petite ville, avec des rues, des places, des temples, un théâtre, et des parcs foisonnant de fleurs et d’arbres étranges… » (Nikos Kazantzaki dans Dans le Palais de Minos)

L’itinéraire de découverte (les n° correspondent au plan du guide Gallimard)

La visite commence par la cour Ouest (1), l’entrée principale du palais. On y voit le buste d’Arthur Evans, trois koulourès ou puits à offrandes (2) datant du premier palais et la base de deux autels (la cour Ouest servait sans doute d’agora ou place publique où se déroulaient des cérémonies cultuelles). Cette cour a été entièrement dallée à l’époque du second palais

 

On se dirige ensuite vers l’entrée Ouest (3) et le couloir de la procession (4). D’une longueur de 35 mètres, il doit surtout son nom à la fresque du Prince aux fleurs de lys qui se trouvait au bout de ce couloir.

Après des virages à angles droits qui font penser à un couloir de labyrinthe, on arrive au bas de l’escalier (10) qui mène au piano nobile (« étage noble »). Dans une des pièces du piano nobile, la salle des fresques, se trouvait la fresque de La Parisienne.

Sous cet escalier se trouvent les vestiges d’un temple grec du VIe siècle av. J.-C. dédié à Héra (11).

On arrive ensuite dans la cour centrale (12) de 30 sur 50 mètres ; une cour sans portiques qui a pu servir d’espace de jeu ou d’initiation, voire d’espace rituel.

Sur la face Ouest de cette cour centrale donnent de nombreux bâtiments :

–       le vestibule des cryptes à piliers (13), la chambre du trésor (16) où ont été trouvées des tablettes en linéaire B et la Déesse aux serpents, et, derrière ces deux pièces, la salle à piliers (14) et la chambre du grand pithos (15) ;

–       après l’escalier (17), une antichambre (18), avec une vasque en porphyre où la population venait peut-être se purifier avant d’interroger le roi-prêtre dans la Salle du trône (19) ;

 

Dans cette salle se trouve le trône de la période mycénienne, un siège en gypse alabastrin entouré d’une fresque représentant un griffon, un sphinx à tête d’oiseau.

Depuis le piano nobile auquel on peut accéder par l’escalier (17), on peut admirer les magasins Ouest

(22) découverts en 1878 par Kalokairinos et qui abritaient des pithoi contenant huile, miel, vin, raisins, céréales…

 

Après être passé devant le sanctuaire où on a trouvé la fresque du Cueilleur de safran (23), on se dirige à présent vers la partie Nord du palais avec

–       l’entrée Nord-Est (25), par laquelle on accédait en venant du port, la salle « hypostyle » aux onze colonnes (27) qui était sans doute la « douane » où les commerçants payaient leur tribut ; et peut-être une cuisine ;

–       un bain lustral reconstitué (24) ;

–       le « théâtre » (26) avec deux volées de marches disposées en équerre où l’on se tenait debout pour accueillir les personnalités ou assister à des cérémonies sacrées ou des danses comme en témoigne la fresque du Bosquet sacré au Musée archéologique.

Un espace qui rappelle ce texte d’Homère :

« Là, des jeunes-gens, des jeunes-filles… dansaient en se tenant le poignet. Elles portaient des robes de toile fine ; eux étaient vêtus de tuniques bien cousues… Tantôt ils avançaient en tournant, tantôt, au contraire, ils avançaient en ligne les uns vers les autres… »

De là, on revient sur ses pas pour retourner dans la cour centrale qu’on traverse pour aller vers l’aile Est.

On emprunte le grand escalier (31) qui conduit vers le puits de lumière creusé en profondeur, qui devait amener une lumière indirecte à l’intérieur du palais, et soutenu par d’imposantes colonnes de cyprès -un bois souple qui résistait aux secousses sismiques- peintes en brun rouge.

Après la salle des Doubles haches (32), on débouche sur le mégaron du roi (33) avec les restes d’un trône, puis sur le mégaron de la reine et sa « salle de bains » (34) ; à côté les toilettes de la reine (35).

Au Nord-Est, se trouve l’atelier des tailleurs de pierres (46) et celui du potier (47), puis le magasin des pithoi géants (49) avant d’accéder au couloir (50) où on a trouvé le jeu d’échecs conservé au Musée archéologique.

 

On terminera la visite par la maison du Sud-Ouest, sous le corridor Sud (6). Une maison très caractéristique et très « parlante » avec ses trois étages, ses escaliers, ses salles de cultes, ses passages à angles droits donnant dans les magasins, ses vestibules et cours de lumières. Selon Evans, cette maison était habitée par le personnel de service. Pourquoi pas… ?

Mais qui donc était minos ?

Le premier témoin littéraire qui atteste l’existence de Minos est Homère qui le cite à l’IXe-VIIIe siècle av. J.-C. au Chant XIII de l’Iliade :

« Et Idoménée cria d’une voix terrible en se glorifiant (devant Deiphobe, prince troyen, un des fils de Priam et d’Hécube) : Malheureux ! Ose m’attendre, et tu verras ce que vaut la race de Zeus. Zeus engendra Minos, gardien de la Crète, et Minos engendra un fils, l’irréprochable Deukalion, et Deukalion m’engendra pour être le chef de nombreux guerriers dans la grande Crète, et mes nefs m’ont amené ici pour ton malheur, celui de ton père et celui des Troyens. »

Et plus loin lorsque Zeus s’adresse à son épouse Héra : « Attends et tu partiras ensuite, mais couchons-nous pleins d’amour. Jamais le désir d’une déesse ou d’une femme n’a dompté ainsi tout mon cœur. Jamais je n’ai tant aimé, ni l’épouse d’Ixion, qui enfanta Pirithoos, semblable à un dieu par la sagesse, ni la fille d’Akrision, la belle Danaé, qui enfanta Persée, le plus illustre de tous les hommes, ni la fille du magnanime Phenix, qui enfanta Minos et Rhadamanthe, »

Au Chant XIX, il évoque aussi « Cnossos, où régna Minos qui s’entretenait tous les neuf ans avec le grand Zeus ».

Dans l’Odyssée, Minos est cité à quatre reprises, particulièrement au Chant XI en tant que Juge des Enfers : « Et je vis Minos, l’illustre fils de Zeus, et il tenait un sceptre d’or, et, assis, il jugeait les morts. »

Mais sept siècles se sont écoulés depuis la fin de la civilisation dite « minoenne » !

Minos a également été cité par Hérodote, qui le fait vivre trois générations avant la Guerre de Troie, donc entre le début du XIVe siècle et la fin du XIIIe, et par Thucydide. Mais leurs témoignages sont postérieurs de plus d’un millénaire !

Tout ce que nous ont appris les poètes depuis Homère relèverait-il donc « de la légende ou du conte fantastique », comme le pense Paul Faure ?

Faudrait-il rapprocher Minos de « Ménès », un ancien souverain égyptien, ou du dieu égyptien Min ? Et pourquoi ne pas interpréter le nom « Minos » à la façon de Evans et Paul Faure comme un titre dynastique, comparable à celui de « pharaon » ou « césar » ? …

Encore un mystère à éclaircir…

 

Sir Arthur Evans, un pionnier sans doute, un affabulateur peut-être.

 

Arthur Evans est né en 1851 au Royaume-Uni. Ethnologue et archéologue, il était surtout intéressé par les inscriptions anciennes. Après les premières fouilles entreprises à Cnossos en 1878-1879 par Minos Kalokairinos, il y achète un lopin de terre en 1884 avant d’acquérir tout le terrain en 1899, après le départ des Ottomans de Crète. Et en 1900 débutent les fouilles. En trois ans, Evans dégage avec ses 200 ouvriers 20 000 m² de terrain, dans une atmosphère de compétition sportive, à cent lieues des méthodes archéologiques traditionnelles, pourtant déjà fort sérieuses à cette époque.

Sans doute une œuvre de pionnier intéressante (il a eu entre autres mérites celui de faire travailler ensemble des ouvriers grecs et turcs après plus de deux siècles de querelles et de massacres), mais doit-on adopter sans discussion son point de vue ? Peut-on accepter une reconstruction du site où Evans s’est permis de déplacer des objets (les divergences sont nombreuses entre les carnets de notes de ses collaborateurs et ses propres publications), d’abattre des murs qui le gênaient, de rassembler des fragments qui ne correspondent pas les uns avec les autres, d’attribuer des fonctions fantaisistes à des salles (la salle de bain de la reine –où un coffre d’argile peinte devient une baignoire- en est l’exemple le plus frappant) … Et tout cela pour alimenter à coups de scoop la gazette du Manchester Gardian dont il était le correspondant. Mais le principal reproche qu’on peut lui faire est d’avoir employé des matériaux totalement inconnus des Crétois de cette époque pour construire, selon ses propres paroles, une « Crète en béton ». Selon l’archéologue autrichien Praschniker, Evans a reconstruit une « cité de cinéma, un paradis où tout était bon, beau et vrai ».

Une beauté décrite sur les fresques dont on peut douter aujourd’hui de la véracité.

C’est à Evans, persuadé qu’il était tombé sur le palais de Minos, qu’on doit aussi le qualificatif de « minoen » pour cette civilisation, les palais, la chronologie…

En fait, le tort d’Arthur Evans est d’avoir voulu voir dans l’art minoen des traits communs avec l’art de son époque : il a transféré dans l’histoire minoenne les tendances artistiques du style 1900 de l’époque victorienne. L’exemple le plus intéressant de cette tendance est la fresque de La Parisienne.

Mais on peut relever d’autres incongruités ou incohérences : pourquoi des magasins dans ce qu’il considère comme des « appartements royaux », des ateliers à côté de la « chambre du roi » ? Que font des pithoi de cent litres dans la « salle de bain » de la reine ? Est-il logique que la « Salle du trône », les « appartements royaux » soient si obscurs ?…

Mais, au final, l’opération est réussie : Sir Arthur Evans a été anobli par la Reine d’Angleterre et le site de Cnossos attire chaque année des centaines de milliers de touristes.

Et si certaines fresques du palais de Cnossos étaient loin de la réalité…

On connaît le débat autour de la reconstitution ou plutôt de la reconstruction du palais de Minos par Arthur Evans mais moins les doutes de certains scientifiques quant à l’authenticité des fresques de Cnossos qui font la notoriété du Musée archéologique d’Héraklion.

En cause, le travail des Gilliéron père et fils, deux Suisses, chargés de restaurer les fresques de Cnossos par un Evans persuadé d’avoir découvert un palais royal. Des artistes qui se sont enrichis aussi grâce au commerce de reproductions d’art.

Ainsi, le Cueilleur de safran est en réalité un singe et non un homme.

Plus flagrant, le Prince aux fleurs de lys tirant un griffon : l’observation anatomique du personnage montre que son torse musclé a appartenu non à un prince mais à un pugiliste qu’on peut comparer à ceux gravés sur le Vase aux boxeurs d’Agia Triada. En effet, si on enlève le torse qu’Evans a bien voulu attribuer au Prince-Roi, que reste-t-il à notre personnage ? Une oreille, une couronne –qu’Evans lui-même estimait dès 1901 appartenir sans doute à un autre personnage-, et une jambe sans cheville ni pied. C’est bien peu pour prétendre avec Sir Arthur que « nous avons ici certainement le représentant sur terre de la Déesse-mère minoenne, son fils adoptif… Minos lui-même dans une de ses mortelles incarnations ».

 

Organisait-on des sacrifices humains à Cnossos et en Crète ?

Pendant l’été 1979, quelle ne fut la surprise des archéologues qui découvrirent dans la cave d’une maison de Cnossos datée de 1500-1450 av. J.-C. une jarre à demi-remplie d’ossements humains et, dans une pièce, 300 fragments correspondant aux squelettes de deux garçons âgés de huit à onze ans mélangés à des os de moutons. Plus surprenant, une analyse au microscope a révélé sur ces os l’absence des extrémités du squelette, notamment le bas des jambes, et la présence d’entailles et de marques qui supposent le contact d’un couteau.

À la suite de cette découverte macabre, les interprétations sont allées bon train : les Crétois étaient- ils cannibales et consommaient-ils de la chair humaine lors de cérémonies secrètes ? Les archéologues étaient-ils tombés sur l’antre du Minotaure et sur les restes de quelques-uns des jeunes gens athéniens envoyés par Athènes au roi Minos ? Ou les Crétois célébraient-ils des rites funéraires spéciaux en reproduisant par exemple le célèbre festin où Atrée fit dévorer à Thyeste ses propres enfants ? À la fin de la tragédie Agamemnon d’Eschyle (v. 1592-1596), le fils survivant de Thyeste décrit ainsi le repas fatal : « Atrée offrit à mon père pour festin la chair de ses enfants. Il brisa le bout des pieds et les doigts des mains. »

Tout aussi digne d’un roman policier, en1979 également, à dix kilomètres de Cnossos, à Anémospilia près d’Archanès, les archéologues ont trouvé sous les débris d’un temple abattu par un tremblement de terre vers 1700 avant notre ère le squelette d’un jeune-homme de dix-huit ans en position ramassée, couché sur un autel de pierre, égorgé au moyen d’un couteau de bronze. Et près de lui, les squelettes d’un homme et d’une femme écrasés par l’effondrement du bâtiment, les bras en croix. Mystère…

Cnossos vu par Jacques Lacarrière

« En ce temps-là, je vivais à Cnossos. J’avais oublié Athéna, l’Athéna pensive de mon adolescence, avec son regard vert sombre et sa lance affligée, et je passais mes rêves et mes nuits dans les bras de prêtresses crétoises aux seins nus.

J’étais déjà infidèle aux déesses comme je l’étais aux femmes. La Crète, à coup sûr, y était pour beaucoup avec ses fresques et ses palais étranges où j’avais élu domicile…

Cette année-là, les touristes étaient encore inexistants et le palais avait pour unique habitant le gardien et sa fille Vassilika. Ils m’offrirent l’hospitalité d’un banc devant leur maison pour dormir mais je préférais leur fausser compagnie pour aller m’installer la nuit sur les terrasses. Chaque soir, Vassilika… m’apportait une assiette de haricots parfumés au fenouil. Cnossos, pour moi, c’est aussi cela : le goût du fenouil au crépuscule et cette assiette clandestine, comme si trente siècles plus tard j’étais l’ultime vagabond venu mendier aux portes du palais.

Je ne savais pas grand-chose de l’histoire de Cnossos ni de celle de la Crète et je ne m’en souciais guère. Je préférais tout découvrir ainsi, jour après jour, dans cette lumière de septembre encore intense mais adoucie par l’ombre des collines. Et je me sentais nu, en ce lieu presque nu : pas d’histoire à remémorer ni d’archéologie à retrouver, rien que ce contact immédiat avec un site qui me parlait chaque jour par ce qu’il avait de moins profond et pourtant de plus révélateur : le silence et la solitude de Cnossos en septembre. Ainsi ai-je appris le palais, ses fresques, ses labyrinthes, ses symboles : comme on feuillette un livre dont chaque page est imprévue, comme on pénètre en un pays de fresques bleues tremblant de l’autre côté des miroirs et des failles du temps. On ne peut trouver pour cela de lieu plus idéal que Cnossos. Toute l’architecture du palais, avec ses couloirs, des dédales, ses étages, ses escaliers, ses profondeurs et ses alcôves, ses peintures où les habitants de l’air, de la terre, de la mer –les oiseaux bleus, le singe bleu, les dauphins bleus– vous récitent un conte d’azur, tout cela me parlait d’un monde bien différent du monde grec…

Plus tard, j’ai lu l’histoire de Cnossos, j’ai appris le langage des fouilles et cette terminologie qu’il faut bien inventer pour découper le temps en strates successives déposées le long des axes de l’histoire: Minoen Ancien I, Minoen Ancien II, Minoen Ancien III, et Minoen Moyen et Minoen Récent et Subminoen. Mais j’avais alors le sentiment d’un puzzle morcelé, d’une grande patience pour géants immortels. Car rien, en cette partition du temps, ne pouvait restituer la rencontre première avec l’univers de Cnossos : ce sentiment de pénétrer un monde ancré à la fois dans l’histoire et le mythe, comme si demain on retrouvait intacts les palais, les lumières et les eaux et les odeurs de l’Atlantide. » (L’Été grec)