D’un raisin à l’autre ou un hiver à Sivas

« On pourrait s’acheter une maison en Grèce pour y passer la plus grande partie de l’année », me dit souvent mon épouse amoureuse philhellène. La dernière fois, c’était à Corfou en début d’automne ; nous occupions la maison de l’une de ses amies journalistes, une Athénienne, déjà repartie dans la capitale car pour elle, en octobre, l’été c’est bien fini. Il est vrai que la maison admirablement sise en bord de mer sur les pentes de l’Achilléon n’a pas de chauffage et les nuits corfiotes y sont déjà fraîches. J’y occupais une chambre donnant sur le parc luxuriant mais la nuit je dormais habillé en raison de l’humidité et des moustiques encore nombreux et pugnaces.

Après une journée superbe une nuit a été particulièrement pénible. Tenu en éveil par les moustiques et l’humidité une remarque d’un collègue des Affaires étrangères dans les années 90 m’est revenue à l’esprit. Il avait été en poste dans plusieurs pays des deux rives de la Méditerranée et au cœur de l’hiver allemand lors d’une soirée dans une « Weinstube » souabe nous avait dit : ‘’Rien n’est pire que l’hiver dans un pays chaud’’.

Alors que le mois d’octobre allait se terminer, les nouvelles du front du Covid devenaient alarmantes et l’idée de me trouver cantonné un hiver sans chauffage à Kerkira ne m’enchantait guère, celle de me cloîtrer à Strasbourg non plus.

En bonne logique, début novembre, j’ai opté pour le sud de la Crète région tranquille aux confins de notre vieille Europe.

Le Président d’Alsace-Crète auprès de qui j’ai pris conseil m’a recommandé de prendre mes quartiers dans la Villa Costas-Popi à Sivas bien connue des membres d’Alsace-Crète.

Mon hôtesse, Georgia, que nombre d’entre vous connaissent, m’a accueilli avec un plateau de produits de son jardin d’Eden dont des raisins délicieux. Pour moi, une rareté en novembre.

Après bien des péripéties, je peux affirmer que je reviendrai l’hiver à Sivas. Mon séjour, le premier de ma vie sans impératifs professionnels, a été une succession d’émerveillements.

Arrivé dans un environnement encore brûlé par le soleil, j’ai vu la sècheresse se transformer en un printemps luxuriant dès les premières pluies. Les oliveraies arides, encore brûlées par le soleil à mon arrivée, se sont couvertes d’un tapis vert de trèfles et d’herbes comestibles. Les oliveraies et les flancs des montagnes avoisinantes ont accueilli des troupeaux gambadant de plaisir.

Très vite, des fleurs de toutes sortes ont envahi les prairies. Marguerites, anémones, lys, orchidées sauvages, iris, coquelicots ont éclos au fur et à mesure de mes promenades et des pluies pour moi plus printanières qu’hivernales.

 

Le parfum des citronniers et des orangers en fleurs était enivrant. J’ai eu la joie de cueillir de la sauge et du thym sauvages et d’accompagner la grand-mère Popi que nombre d’entre vous connaissent à la recherche de succulentes herbes comestibles.

Les jardins quant à eux ont offert une généreuse variété de légumes et, dès le mois d’avril, de fruits de toutes sortes. J’ai pu ainsi faire une cure de régime crétois d’autant plus que le lockdown généralisé dès le 8 novembre ne permettait pas de fréquenter les tavernes. Cette solitude volontaire réduisant les contacts au voisinage ou à des visites à un moine anglophone de Moni Odighitria m’ont réappris à vivre sereinement comme au ralenti avec des livres, de la musique et … les chats.

 

Philoxenia

Un long séjour est quelquefois source d’accidents et de soucis de santé. Ce fut aussi mon cas.

J’ai ainsi, nolens volens, expérimenté les système de santé public et privé crétois. L’accueil des soignants au dispensaire de Moirès -que soutient Alsace-Crète- et dans les deux hôpitaux d’Héraklion m’ont bluffé. A chaque fois, les équipes se sont mises en quatre pour me trouver un médecin francophone ou germanophone mais le plus souvent anglophone. Quant à Katarina Tsikala du Centre de santé de Moirès, j’ai pu lui demander de l’aide en italien. Les médecins du public chichement payé -un smig français- sont d’un professionnalisme et d’une patience à faire honte à nos petits messieurs du secteur 2 et ont émis des diagnostics sûrs avant de me prodiguer des soins.

   

Les infirmières et médecins de ville sont tout aussi compétents et pas avares de leur temps ; quant aux rendez-vous, on les obtient quasiment dans la journée. En plus, j’ai pu me faire vacciner (1 & 2 Pfizer), merci les Grecs. Fort de ces aventures je n’hésiterai pas à revenir me faire soigner au pays d’Hippocrate.

Cet hiver et ces expériences, uniques pour moi, m’ont fait quitter Sivas et mes nouveaux amis à regret non sans avoir goûté au raisin de la nouvelle saison. D’un raisin à l’autre, je ne garderai que de bons souvenirs.

 

Conseils pour un hiver 

J’ai rarement été limité dans mes sorties par plusieurs jours de pluie continue. La proximité de la mer de Libye adoucit le climat véritablement sub-saharien et j’ai pu rester très souvent des heures torse nu au soleil. Des Allemands endurcis se baignent chaque jour. Seuls inconvénients, la nuit qui tombe vite et le chauffage de la clim inversée. Des visites quotidiennes à la famille de Popi et Georgia m’ont réchauffé corps et cœur ainsi que le raki et la Sirah du monastère de MoniToplou. Ceux qui vivent ici à l’année ont tous à l’instar de la famille Argirakis des fourneaux en fonte à vitre pour voir les flammes danser où brûle en permanence du bois d’olivier.

 

Appel aux amis des chats

Le Covid a bouleversé l’économie locale tributaire du tourisme. Bien des familles sont en difficulté après une mauvaise saison et un futur tout aussi sombre. C’est dire que la pullulation des chats pose problème. Au cours de mon séjour, j’ai nourri plusieurs familles de chats et des générations de chatons de plus en plus nombreuses au fil des grossesses.

Au cours des mois, c’est plus de trente boules de poils miaulantes que j’ai nourries et soignées chez Stella la vétérinaire de Moires. J’ai dépensé beaucoup plus pour les chats que pour moi. Seule la castration de quelques femelles pourrait empêcher une catastrophe démographique féline dans la petite vallée Costas-Popi sur la route de Listaros. Au fil des mois bien des touristes de passage ont profité de chatons joueurs et pas farouches nourris sur ma cagnotte. Sans forfanteries, je suis devenu le Konrad Lorenz des chats de Crète dont j’ai beaucoup appris sur les félins et les .. hommes. Ces bêtes font entre elles preuve de plus d’humanité que bien des humains.

Je n’avais hélas pas les moyens de payer, en plus de la nourriture et des soins urgents, plusieurs fois 80€ pour des castrations. Le haut du village a une densité de félidés moins importante car la communauté allemande organise des campagnes de castration et importe de la nourriture en gros. J’en appelle aux amis des chats de notre association. S’ils voulaient m’aider ils pourraient transmettre des dons à Alsace-Crète pour que nous puissions réduire la poussée démographique de nos amis ronronnant.