Manolis Glezos, un des résistants grecs les plus célèbres de la 2ème Guerre Mondiale, est mort d’une insuffisance cardiaque le 30 mars dernier à l’âge de 98 ans à Athènes.

Manolis Glezos avec son ami Apostolos Santas (mort en 2011) avait impressionné le monde entier et inspiré la jeunesse en lutte contre les nazis et le fascisme. Dans la nuit du 30 au 31 mai 1941, âgés tous deux de 19 ans, ils avaient décroché au nez et à la barbe des militaires nazis le drapeau militaire à la croix gammée hissé sur Acropole. Cet évènement héroïque provoqua une vague d’enthousiasme en Grèce et à l’étranger. Le Général De Gaulle le qualifia de « premier résistant ».

Mais Manolis Glezos n’était pas qu’un éternel résistant. Il fut un militant infatigable et inconditionnel pour la liberté, la démocratie et la justice sociale. Un militant et un intellectuel en même temps, un serviteur et non un guide du peuple, comme il ne cessait de le souligner. Cela lui a valu 28 condamnations, dont 3 à mort, 11 ans et 5 mois de prison, 4 ans et 6 mois d’exil et 9 tentatives d’assassinat. Mais aussi de nombreux soutiens, des élections, des prix et des distinctions décernés par des organisations nationales et internationales, le Parlement et des Universités dont 4 l’ont nommé Docteur Honoris causa.

« La nation baisse ses drapeaux pour laisser passer un Grand Grec » dira le Premier Ministre Kyriakos Mitsotakis à l’annonce de sa mort. La Présidente de la République, les Présidents successifs du Parlement, des Ministres, des codétenus, toute la classe politique l’ont salué en des termes élogieux. Le drapeau est en berne sur l’Acropole. Le Maire d’Athènes et des Ministres annoncent des funérailles publiques. Mais en raison du coronavirus, la famille demande des funérailles simples et familiales que préside l’Archevêque d’Athènes Ieronymos au cimetière d’Athènes. Des obsèques religieuses comme il l’avait souhaité.

Manolis Glezos est parti debout tel qu’il le voulait avant que son dernier combat soit gagné, le remboursement des dettes de l’Allemagne à l’État et au peuple grecs.

 

Un serviteur sans relâche.

Manolis Glezos est né le 9 Septembre 1922 à Apiranthos dans l’île de Naxos. Sa mère était institutrice et son père journaliste et comptable dans une entreprise d’extraction de minerai, mort quand le jeune Manolis avait 3 ans et demi. Sa mère se remariera bien plus tard. La famille déménagera à Athènes en 1935 où il continuera ses études au lycée. Un camarade de classe du Dodécanèse, occupé alors par les Italiens de Mussolini, lui apprend ce que sont l’occupation et le fascisme. A cause d’un professeur admirateur du dictateur Ioannis Metaxas qui a fait brûler dans la cour de l’école les livres considérés comme communistes, il connaît l’existence de Engels, Marx, Lénine. Avec d’autres éleves dont Apostolos Santas il décide de former un groupe de libération de Dodécanèse et de lutter contre la dictature de Metaxas. Le torpillage du bateau militaire Elli près de l’ile de Tinos et la noyade des marins par les forces fascistes italiennes renforcent leur détermination dans la lutte. L’invasion nazie et l’annonce d Hitler au Reichstag, après la bataille de Crète, que plus personne ne pourra empêcher les troupes allemandes de libérer l’Europe de ses ennemis le poussent à répondre à Hitler qu’il se trompe. Avec Apostolos Santas il gravit l’Acropole et vers une heure du matin décroche le drapeau à croix gammée, le déchire et en jette un morceau dans un puits. Inquiète, sa mère l’attend chez elle, prête à se servir du bâton dont elle le menacera jusqu’à ses 24 ans. Manolis ouvre sa chemise et lui montre le morceau du drapeau qu’il a caché. Sa mère sourit et lui dit d’aller dormir. Le lendemain, l’évènement fait la Une de la Radio Nationale. Et le journal Acropolis du 1er Juin 1941 présente le communiqué de la direction militaire allemande d’Athènes : « Dans la nuit du 30 au 31, le drapeau militaire allemand hissé sur l’Acropole a été enlevé par des auteurs inconnus. Des interrogatoires stricts sont en cours et leurs coupables et complices seront punis de la peine de mort ». Ce fut la première condamnation à mort par coutumace de Manolis Glezos.

Engagé dans les mouvements de libération des jeunes OKNE, EAM, EPON, Manolis Glezos a été arrêté 3 fois, dont le 24 Mars où, torturé par les nazis, il est sur le point de mourir d’une tuberculose très grave qui causera sa libération. Le 21 Avril 1944, il est arrêté par les Italiens et condamné à trois mois de prison. Le 21 Septembre 1944, il est appréhendé par les collaborateurs grecs. Il s’évade le 29. Le 10 Mai de la même année, son frère Nikos, lui aussi engagé dans la résistance a été exécuté avec d’autres prisonniers.

Avec la fin de la 2ème Guerre Mondiale, la volonté de Wiston Churtchill de faire revenir la famille royale exilée et de maintenir la Grèce sous l’influence anglaise, les Accords de Yalta et les erreurs des leaders communistes grecs ont jeté le pays dans la Guerre Civile. Manolis Glezos continuera de vivre son calvaire pour ses opinions et activités politiques. ll sera condamné deux fois à mort par ses compatriotes en application des lois anticommunistes votées par les gouvernements proanglais et proaméricains durant la Guerre Civile. A sa troisième condamnation à mort en 1949, le Général De Gaulle demandera sa libération en soulignant qu’il s’agit du « premier partisan de l’Europe ». Manolis Glezos refuse cet honneur en prétextant que le premier résistant grec était Mathios Potagas. Ce lycéen de 17 ans exécuté, la tête écrasée contre un rocher, par le chef du régiment des chars marchant vers Tripoli dans le Péloponnèse, pour avoir déclaré : « Vous ne nous asservirez pas. Même si je suis seul, le peuple grec est dernier moi et il vous vaincra ».

En 1959, il est accusé et condamné par des tribunaux militaires pour avoir aidé des espions soviétiques. A cette occasion, un comité de soutien sera créé en France avec la participation de Jean-Paul Sartre, Albert Camus et bien d’autres intellectuels. Dans sa lettre au Premier Ministre Constantin Caramanlis sollicitant la libération de Manolis Glezos, Albert Camus écrira : « Je ne partage pas ses opinions mais sa magnanimité et sa vaillance méritent au moins du respect ».  Pablo Picasso fera un dessin qui présente l’Acropole et un jeune qui symbolise Manolis Glezos tenant un drapeau grec au-dessus du Parthénon. Dans cette affaire, Manolis Glezos n’est pas soutenu que par des communistes et d’autres partis politiques, mais aussi par des courants socialistes, libéraux, radicaux et conservateurs qui n’étaient pas d’accord avec la pénalisation de la vie politique et la restriction des libertés publiques. Pour lui, il s’agissait d’une calomnie due au fait qu’il était considéré comme responsable de l’excellent résultat de l’EDA (Union des communistes, socialistes, des groupes de gauche, des démocrates) aux élections de 1958. Condamné à 5 ans de prison, 4 ans d’exil et 8 ans de privation de se droits civiques, il sera libéré le 14 décembre 1962.

Jeté une dernière fois en prison par les colonels grecs le 21 avril 1967, il sera libéré en 1972 avec tous les prisonniers politiques amnistiés par le dictateur G. Papadopoulos.

 

 

Le dernier combat de Manolis Glezos.

La vie et l’œuvre du résistant, de l’homme d’action politique, du journaliste, de l’intellectuel, du scientifique, du pédagogue ne peuvent se résumer en deux pages. Il faudrait plus qu’un livre. Nous citerons donc son dernier combat mené depuis des années, présenté à la presse, devant les Parlements grec et européen … et surtout dans un de ses 16 livres : « Même si ce n’était pas qu’un euro… Les devoirs de l’Allemagne à l’égard de la Grèce ».  Manolis Glezos y refuse la confusion entre indemnités pour dégâts provoqués par la guerre et dettes de l’Allemagne envers l’État grec et envers le peuple grec. Ce qu’il l’intéresse c’est la deuxième partie.

D’une part, l’occupant a saisi 51 % des actions de l’économie grecque. Devant le Comité de 19 membres Alliés réuni à Paris en 1946, la Grèce avait demandé 14,5 milliards et leur décision fut 7,1 milliards, c’est-à-dire 108 milliards d’euros plus les taux d’intérêt.  D’autre part, la Grèce avait été obligée de prêter à l’Allemagne 3,5 milliards (54 milliards d’euros). Sans compter les taux d’intérêt … et les biens archéologiques saisis.

Enfin, si tous les pays ont vu leur population augmenter entre le début et la fin de la guerre, la Grèce a vu la sienne diminuer de 500.000 habitants (13,5%). Pourtant, Manolis Glezos disait ne nourrir aucune haine envers les Allemands. En témoigne la scène où il prit l’Ambassadeur allemand en Grèce par la main pour qu’il puisse déposer une couronne de fleurs lors d’une cérémonie de commémoration au Pont de Gorgopotamos alors que la Présidente du Parlement Mme Konstantopoulou voulait l’en empêcher.

Dans un autre numéro de Kulturissimo, il serait intéressant d’exposer les questions et les arguments présentés à l’ancien Ministre et actuel Président du Bundestag M. Wolfgang Scheuble.

 

La raison de son combat.

Depuis son 80eme anniversaire, à ceux qui lui demandaient pourquoi il continuait de se battre il répondait : « Parce que je vis pour mes compagnons qui sont morts et que moi je continue de vivre. Avant tout combat, nous nous rassemblions et nous discutions. Et nous disions : si toi tu survis parce que tu n’as pas été touché par la balle, ne m’oublie pas. Quand tu rencontreras des gens dans la rue, tu leur diras bonjour de ma part aussi. Quand tu iras boire un verre, tu boiras aussi pour moi. Quand tu entendras le bruit des vagues, tu les entendras pour moi aussi. Quand tu entendras le sifflement du vent dans les feuilles, tu l’entendras pour moi aussi. Et quand tu danseras, tu danseras pour moi aussi. Puis je les oublier ? J’essaie de réaliser à leur place le maximum de ce qu’ils auraient réalisé s’ils n’étaient pas morts. C’est pour cela que j’ai écrit tant de livres, eu tant d’occupations différentes ».

Et en s’adressant à la classe politique lors de la présentation de son livre Acronymia, il déclara au sujet des devoirs de l’Allemagne envers la Grèce : « Même après ma mort je serai là à vous hanter et vous rappeler votre devoir. Vous ne m’échapperez jamais. »

 

 

Iraklis GALANAKIS

Membre fondateur d’Alsace-Crète