Chers(es) amis(es) d’Alsace-Crète,

A l’heure où le monde entier est confiné et que nos personnels hospitaliers sont de véritables héros, nous nous trouvons tous enfermés, démunis, angoissés pour notre santé et celle de nos proches. Il faut donc nous résoudre à rester chez nous pour éviter la propagation du virus.
Certes, nos manifestations ont été reportées, la livraison des produits crétois ajournée (en juin ?), le stage de langue grecque différé (sans doute en septembre), le voyage « Monastères de Crète » peut être menacé aussi…
Mais ne perdons pas le moral pour autant et prenons notre mal en patience. Υπομονή, disent nos amis grecs.
Pour occuper cette « vacance » et garder le moral, nous vous faisons ci-dessous plusieurs propositions :

Nous vous invitons d’abord à aller sur notre site (alsace-crete.eu). Vous pourrez y lire le dernier Pes mou qui n’a pu encore vous être envoyé. Vous pourrez surtout y découvrir mon « Carnet de voyages en Crète » que je mettrai à la disposition de tous les membres dans les prochains jours et qui vous permettra de partir en voyage en Crète depuis chez vous. Il sera actualisé régulièrement avec de nouveaux articles et de nouvelles photos (merci à tous les membres qui ont déjà offert les leurs pour l’illustrer).

Notre ami Guillaume Bouvier, qui lors de sa conférence du 14 janvier nous a présenté son roman « Messager des Dieux », offre à toutes celles et tous ceux qui souhaitent s’évader la possibilité de se procurer gratuitement la version numérique de son livre. Il sera disponible jusqu’au 30 avril prochain sur la plate-forme de la Fnac :

https://livre.fnac.com/a13707214/Guillaume-Bouvier-Le-Messager-des-Dieux?NUMERICAL=Y#bl=FA_ebook

Autre évasion, le documentaire d’ARTE « La Crète, doux berceau d’El Greco » dans la série « Invitation au voyage » (à trouver sur le site d’ARTE)
Nos amis de l’association « Crète, terre de rencontres » vous proposent de regarder « Ποιός τη ζωή μου », un documentaire de 3 heures environ consacré à Mikis Théodorakis. A trouver à l’adresse suivante :

En ces heures de souffrance, pensons aussi à la Grèce menacée, plus que nous encore, en raison du piètre état dans lequel la crise économique et les coupes drastiques et inhumaines imposées par l’Europe ont mis son système hospitalier.

Vous savez que depuis trois ans nous soutenons l’hôpital de Moirès en Crète. Grâce à la générosité d’un certain nombre de nos membres, nous allons pouvoir doter cet hôpital de 3000 € de matériel contre la propagation du Covid-19. Merci pour vos dons futurs (chèques à l’ordre d’Alsace-Crète/ Hôpital de Moirès).

Nous avons aussi une pensée émue pour nos amis grecs d’Alsace et d’ailleurs, qui se retrouvent séparés de leurs proches de Grèce en raison du confinement mondial, sans savoir quand ils pourront se retrouver. Et que dire de cette Grèce qui a célébré sa fête nationale le 25 mars dans la plus grande dignité et le confinement total, dans une atmosphère surréaliste. Les célébrations de 2021 qui marqueront les 200 ans de l’insurrection contre les Ottomans et de l’indépendance de la Grèce n’en seront que plus éblouissantes et chargées de symbole.

Si les mesures de confinement sont levées, nous espérons vous retrouver nombreux à notre sortie du 8 mai dont vous avez été informés récemment. Si vous ne pouvez poster votre inscription, il est possible d’informer Claude Pagani de votre participation à cette sortie en lui écrivant à l’adresse mail suivante pagani.claude@gmail.com et en vous engageant à payer votre repas sur place ou à informer de votre éventuel désistement à la même adresse au moins une semaine avant.

Pour conclure, nous vous proposons ce beau texte de notre ami Allain Glykos :

25 Mars
Terre de Crète

« Difficile de parcourir la Crète, de la comprendre, de l’embrasser. Quelque chose d’elle nous échappe, nous fascine et nous effraie lorsqu’on s’aventure loin des pauvres foules déversées des ventres des ferries. Peut-être parce que la Crète n’est pas simplement une île. Elle est la ride d’un continent avorté, m’a confié un jour un ami géologue. Trace d’un combat titanesque entre l’Europe et l’Afrique. Combat qui ne cesse jamais et dont elle éprouve les secousses, les coups de reins, les gémissements. Ride qui n’en a pas pris une seule depuis les temps minoens. Le plus stable dans l’Histoire c’est la géographie. Géographie où les frontières ne sont que des marges battues par le ressac à peine visible de l’eau. Géographie où les reliefs sont des coulées de larmes venues des cimes, comme disait mon père. Les larmes d’un palikari. C’est ainsi qu’on nomme en grec, un jeune valeureux et fier. La Crète a connu toutes les invasions, à peine quelques années de liberté. Elle n’a cessé de donner à ses fils les fruits de leur survie. Caroubes, olives, ses escargots même.
Ici plus qu’ailleurs, j’ai ressenti la proximité du temps et de l’espace, de la parole et du silence. Apprendre à écouter les murmures des lieux qui s’étalent et s’estompent jusqu’à n’être plus visibles. Toute la mémoire de l’eau est contenue dans l’imperceptible va-et-vient de la mer, de quelques rivières au printemps, quand les champs se teintent de fleurs. Le plus curieux, peut-être, c’est le tintamarre des cigales. Elles parviennent à couvrir le bruit des vagues, le braiement des ânes. La Crète n’est que de cette lutte entre des lumières et des ombres, des bruits et d’autres bruits. Agonie du jour qui résiste à la nuit.
Marchez, marchez sans but, juste pour découvrir, pour rencontrer, apprivoiser le vent, les filets d’eau, les herbes agitées, les rochers impassibles. La géographie écrit à bords perdus, pour les regards, sans limites.
Marchez, du regard, dans les pas de la Crète, celle des écrivains, des peintres, des photographes. Leur Crète inventée. Συγγραφέας, ζωγράφος, φωτογράφος. Écrire, toujours écrire et non pas décrire, peindre et ne jamais dépeindre. L’art, à l’image de la science, ne décrit pas le réel, la nature, il les écrit. Il invente le monde. Tout comme les hommes qui bêchent, creusent, taillent, greffent. Il y a une part de calcul dans cette beauté en apparence évidente et naïve. Une montagne de pensées, d’émotions contenues nous propose de cheminer pour reconstituer le serti qui, d’un puzzle illisible, fera une mosaïque de verts, de gris, d’ocres et de sens. Simplement pour que l’œil dise à la pensée ce qu’il a retenu de son errance. Il n’y a pas d’œil naïf, et comment pourrait-il l’être face aux montagnes, aux vallées, aux plateaux, face aux rangs de vignes et aux oliviers alignés comme des petits soldats ?
La nature n’est ni artistique, ni scientifique, ni religieuse ou mystique. La nature est, un point c’est tout. La Crète a-t-elle vraiment besoin de nous ? Elle était déjà là quand nous foulâmes son sol pour la première fois, elle sera là quand l’humanité aura succombé à sa propre folie destructrice.
La Crète est un visage. J’y vois, à la lèvre, au coin de l’œil, de petits cancers naissants, des chèvres qui s’étonnent et s’éclipsent derrière des touffes noires d’épines et de mystères. D’une source, coule un filet d’eau qui dévale en douceur les pentes jusqu’aux nœuds du foulard. Chaque repli devient escarpement, chaque rictus une lente et difficile procession vers une chapelle de montagne où l’on va fêter un saint. Chaque chapelle est une dent qui résiste à l’usure du temps. Chaque front, de près, devient un chemin caillouteux. Avez-vous jamais regardé de si près un visage ? Il cesse d’être visage, car il n’est plus visible en son ensemble. Il est creux et bosses. Reliefs, hostilité. Avez-vous jamais regardé un paysage ? Il vous échappe, se replie, se déploie et soudain vous enferme dans ses tracés et ses couleurs.
Regardez, descendez les chemins caillouteux, vous dénouerez les racines emmêlées des oliviers. Vous déambulerez entre leurs fruits noirs plaqués au sol par le vent ou par les coups de verge des hommes. On raconte que les femmes en noir qui parsèment le sol comme des olives tombées du ciel, sont les grains de beauté de la Grèce.
Une dernière recommandation. Approchez-vous, approchez-vous encore, plus près. Tendez l’oreille. Vous entendez ce que j’entends ? Un jour, une vieille Crétoise qui m’avait offert un verre de tsikoudia (τσικουδια), l’eau-de-vie de l’île, m’a demandé de m’approcher d’une photo punaisée sur la porte de sa cuisine à côté d’une icône dédiée à la vierge. Εικόνα, c’est comme ça que l’on dit image en grec. Image en français s’écrit avec les mêmes lettres que magie. L’aviez-vous remarqué ? La photo maculée de chiasses de mouches représentait un paysage de Crète. On y voyait en arrière-plan le mont Psiloritis enneigé et à l’avant un champ d’oliviers. Approche-toi, colle ton oreille. Tu les entends, a-t-elle répété plusieurs fois. Tu les entends ? Quoi donc, ai-je demandé. Les cigales, mon petit, les cigales (παιδί μου, η Τσίτσικες). Non, ai-je répondu. Moi je les entends. Tu n’es pas encore assez sourd pour entendre le chant des images. »

Un grand merci à Guillaume et à Allain.
Prenez soin de vous.
Amitiés.

Pour l’association Alsace-Crète,
son président,
Jean-Claude Schwendemann