Dans le sud de l’Ukraine, en Crimée et sur les rives de la Mer d’Azov, une importante minorité d’origine grecque a subi de plein fouet l’invasion russe et les destructions de cette guerre.

Odessa, sur la Mer Noire, et Marioupol, au bord de la Mer d’Azov, ont été fondées par des Grecs à la fin du 18ième siècle, comme le montre leur nom de manière évidente. Leurs ancêtres ont marqué l’histoire de ces régions depuis des temps immémoriaux. La légende de la Toison d’Or d’abord, puis le grand flux des colonies pontiques et criméennes du 8ième au 5ième siècle AVJC, qui a vu alors la fondation de Kherson, autre cité martyre des bombardements russes.

L’évacuation, dans des circonstances dramatiques, de Manolis Androulakis, le Consul de Grèce à Marioupol, et son arrivée à Athènes le 20 Mars dernier, sont dans la mémoire de tous les Grecs.

Au début des tragiques événements du printemps, ils étaient à peu près 160 000. 85% d’entre eux vivaient à Marioupol et dans les campagnes environnantes. Leurs ancêtres, établis en Crimée, avaient pour la plupart été transférés vers cette région sur ordre de Catherine II, dans le but d’affaiblir le « Khanat » ottoman de Crimée. C’est alors que, bénéficiant des privilèges octroyés par la Tsarine, ils fondèrent Marioupol, qui devint très vite un grand centre du commerce et de l’artisanat du cuir, sous leur impulsion et avec la communauté juive qui s’y était développée également. Ceux des Grecs qui s’installèrent dans la campagne environnante – une vingtaine de villages – se consacrèrent à l’élevage ovins, d’autres minorités, notamment allemande, élevant des troupeaux de bœufs et de porcs.

Le Tsar Alexandre II leur retira leurs privilèges et les soumit à une politique de russification stricte. S’en sont suivies alors plusieurs phases, d’assouplissement, de tolérance, de répression, comme celle menée par Staline en 1937, contre ces minorités qui lui étaient suspectes par nature.

Devenue le Donbass, cette région devint l’un des principaux centres d’industrie lourde de l’URSS, et Odessa et Marioupol, le deuxième et le troisième port d’Ukraine.

Dans son recueil de nouvelles paru en 1899, LOGIA TIS PLORIS (Paroles de Proue), Andreas Karkavitsas, situe plusieurs de ses histoires en Mer Noire, en Crimée et à Odessa, y décrivant la vie et les périples souvent tragiques de ces marins qu’étaient alors et sont encore aujourd’hui les Grecs.

De nos jours, la population d’origine grecque en Ukraine constitue le troisième groupe ethnique du pays. Il se divise en deux entités, les hellénophones ou Rumeï et les turcophones ou Urumy, ces derniers à forte composante tatare. Tous bien entendu, dans la sphère publique, sont d’abord russophones, dans cette région où la population russe – celle -là même qui a servi de prétexte à l’agression car prétendument victime de pogroms- est majoritaire.

Ce cadre historique, géographique et culturel a aussi joué un rôle fondateur dans le processus qui a mené au soulèvement en vue de l’indépendance de la Grèce. Et ceci à partir d’Odessa.

La ville a été fondée en 1794 par des Grecs qui avaient combattu dans l’armée du Tsar lors de la guerre russo -turque. Ils choisirent cette large baie, sur l’emplacement d’un ancien poste de guet ottoman. Le Tsar y encouragea l’immigration par les privilèges accordés à l’activité commerciale. De très nombreux Grecs vinrent s’y établir autour du port, et y avaient leur propre structure administrative. La porte principale de la ville avait une épigraphe grecque, un faubourg s’appelait ELLINIKO, et le cœur de la ville battait autour de la PLACE GRECQUE, non loin du port. Autour d’elle se concentraient de nombreux magasins et ateliers grecs, conjointement, comme à Marioupol, avec des artisans et commerçants juifs. Ainsi, la ELLINIKI AGORA est -elle devenue le centre névralgique des Grecs d’Odessa et un des foyers principaux du flux maritime avec la Méditerranée. Les Grecs d’Odessa ont ouvert leurs écoles, et de nombreuses sociétés d’entraide y ont vu le jour. Et c’est l’église d’AGIA TRIADA, achevée en 1808 qui en est devenue l’âme, là où la PLACE GRECQUE, on l’a vu, en était le cœur.

L’ouverture de l’école commerciale grecque et du théâtre grec s’est accompagnée de la naissance de la FILIKI ETAIRIA, ou Société des amis, fondée en 1814 par trois commerçants, Nicolas SKOUFAS, Emmanuel XANTHIS et Athanase TSAKALOV. Le temps était venu de préparer le soulèvement des populations grecques de l’Empire Ottoman.

En 1818, cette FILIKI ETAIRIA, qui fonctionnait comme une société occulte avec ses rites d’initiation et d’admission et son code secret utilisé entre les membres, se transporta à Constantinople, où elle eut une activité intense sous la direction de son président, Alexandre YPSILANTIS, porté à sa tête le 12 Avril 1820.

Il ne m’appartient pas ici de faire l’histoire de tout ce qui a suivi jusqu’à la libération de la Grèce du joug ottoman. Mais j’ajouterai ceci :

Chaque année, La FONDATION CULTURELLE GRECQUE d’ODESSA organisait de nombreuses manifestations à l’occasion de la Fête Nationale grecque du 25 Mars. Au Théâtre, à l’Opéra, à la salle de la Philharmonie, se produisaient nombre d’artistes grecs et ukrainiens, et le public pouvait suivre également des conférences, tandis que se tenaient des colloques sur des thèmes scientifiques, historiques et culturels. Nombre de visiteurs choisissaient d’ailleurs cette période pour leur séjour.

On déposait une gerbe en souvenir des héros morts au combat, et un office solennel dans AGIA TRIADA couronnait ces manifestations.

Et puis, il y avait ce concours de dessin pour les enfants de moins de douze ans, et le voyage en Crète offert, ces dernières années, aux heureux gagnants. Le thème, annoncé pour la 27ième édition en novembre 2021, a porté une fois encore sur le 25 Mars et le soulèvement libérateur.

La pandémie a tout stoppé deux années de suite. Et maintenant, la guerre. Malgré elle, la FONDATION CULTURELLE GRECQUE D’ODESSA a maintenu le concours, invitant à y prendre part tous les enfants qui en auraient l’envie et la force, libre à chacun de choisir son propre sujet.

Et les organisateurs de conclure :

« Lors des deux précédents concours, vous avez représenté les héros de la lutte et vous les avez honorés. Aujourd’hui, les héros de l’Ukraine se battent avec courage et donnent leur vie pour la Liberté et l’Indépendance du pays. Et avec eux, le pays et le peuple tout entier. Nous apportons tout notre soutien au peuple ukrainien ».

 

Michel Servé

 

Alsace-Crète   31 Mars 2022.