Jean-Claude Schwendemann – Présente-toi en quelques mots. Tu es membre d’Alsace-Crète depuis 2008. Quelle est ta relation à la Grèce, à la Crète ? 

Marc Devos – C’est par hasard que je suis tombé amoureux de la Grèce qui reste un mythe aux mille facettes auquel chacun est attaché par un aspect particulier de l’espace ou du temps.

Quand j’ai débarqué comme étudiant à Strasbourg au début des années soixante, j’en avais bavé du grec ancien, je me suis inscrit au cours de grec moderne que lançait M. Argyriou. Il nous fit bénéficier d’un séjour à l’internat de l’orphelinat de Vólos, pendant les vacances d’été, pour pratiquer. Là, j’ai découvert le Pilion par les chemins muletiers ; il n’y avait pas de routes autour de la péninsule et seul le bateau desservait Agia Kyriaki à l’extrémité. C’est un vieux résistant admiratif d’Aris Vélouchiotis qui fit l’éducation politique du jeune étudiant naïf que j’étais, c’est par lui que j’entendis pour la première fois parler de la Commune.

J’avais pris contact avec les deux caractéristiques qui pour moi définissent l’identité nationale grecque : la « religion » et la « résistance », parfois antagoniques, parfois en symbiose.

Puis sont arrivés les Colonels et après 1967 l’atmosphère est devenue irrespirable, j’avais des amis en prison, d’autres proches de la Junte, j’ai quitté la Grèce, je n’ai repris contact qu’il y a 4 ans en me demandant ce que je pouvais faire pour aider concrètement.

La Crète, je la connais peu, elle a une personnalité propre comme chaque région de Grèce et si j’apprécie Alsace-Crète, c’est qu’elle permet à ses adhérents de prendre contact et de s’attacher au pays réel, loin du tourisme « all inclusive ».

Loin aussi des « philhellènes » qui se sont « dévoués » pour sauver le patrimoine grec : Vénus de Milo, Victoire de Samothrace, frise du Parthénon, stock d’or de la banque de Grèce… Ces philhellènes qui pleuraient sur Chios et Missolonghi tout en mettant en place la première dette grecque en 1897 qui durera jusqu’en 1987, avant que l’Europe n’existe, avant que la Crète ne soit grecque.
Avec Alsace-Crète je me sens avec de vrais amis de la Grèce.

JCS – Parle-nous du Collectif Solidarité France-Grèce pour la Santé. Depuis quand existe-t-il ? Pourquoi a-t-il été créé ?

MD – C’est en Janvier 2013 qu’un regroupement d’étudiants et de travailleurs grecs à Paris a pris l’initiative de la création du CSFGS.

Dans la situation de détresse vécue par la Grèce, la santé est un secteur vital. Le tiers de la population n’avait pas les moyens de se soigner et était dépourvu de couverture sociale dès le moment où il n’avait plus de travail. Il n’existait pas – en dehors de l’église – de structure ou d’organisations qui pouvaient servir d’amortisseur social, comme chez nous les Restos du cœur.

Pour prendre en charge ces besoins, se sont créés les dispensaires sociaux autogérés issus des occupations de rue et des mouvements de quartiers, en liaison avec certaines municipalités du temps où Syriza était dans l’opposition. Plus d’une cinquantaine répartis en Grèce et fonctionnant sur la gratuité et la solidarité.

C’est l’émergence de ces dispensaires comme forme de résistance à l’ampleur de la crise sanitaire qui est à l’origine de ce collectif solidarité. Il regroupe des associations, des organisations sociales et politiques ; son objectif est double : faire connaître les dispensaires et leur apporter un soutien à la fois politique et matériel.

En 2016, la situation a changé : une nouvelle loi a accordé la couverture sociale à tous les Grecs non couverts et à tous les étrangers qui ont leurs papiers en règle. C’est en soi un net progrès, mais :
· Les hôpitaux déjà débordés ( beaucoup ont fermé) voient leur budget encore diminuer ;
· Le remboursement des médicaments (avec un ticket modérateur qui peut varier de 25 à 75 %) est effectué sur un prix de référence qui est inférieur au prix de vente, ce qui fait que les plus pauvres ne se soignent toujours pas ;
· Ceux qui étaient couverts par le livret de « prévoyance » (comparable à la CMU) et qui étaient soignés gratuitement ne le sont plus ;
· C’est le moment qu’a choisi l’ Ordre des Pharmaciens pour demander au gouvernement de supprimer les dispensaires sociaux qu’ils trouvent pourtant « nécessaires et bénéfiques ».

Avec cette situation qui se complique, le CSFGS se consacre au soutien de tous ceux qui luttent : City Plazza – un hôtel occupé à Athènes qui abrite des réfugiés –, VIOME – une usine autogérée à Thessalonique –, mouvements de psychiatrie, de femmes, etc., en lien avec les mouvements en France.

JCS – Tu as créé une antenne de ce collectif dans le Bas-Rhin. Quand et Pourquoi ? 

MD – Pendant deux ans, le Sel de la Bruche, dont j’étais président, a organisé des chantiers pour retaper des chemins muletiers, dans le Pilion en Grèce. Nous avions emmené des valises de médicaments et pris contact avec un dispensaire autogéré. Plutôt que de rester isolés dans notre vallée, quand nous nous sommes aperçus que les caravanes du CSFGS aussi bien que de Youlountas n’avaient pas de soutien organisé dans l’Est de la France, nous avons lancé l’idée du collectif en février de l’année dernière.

JCS – Que fait ce collectif ? Quelles sont ses activités ? De qui est-il composé ? 

MD – Le collectif est un réseau, pas une association, pour plusieurs raisons :
· Nous n’avons pas la prétention d’avoir le monopole de la solidarité et soutenons tous ceux qui mènent des actions solidaires ;
· Nous regroupons tous ceux qui veulent mener une action concrète et sont en accord avec la Charte des KIFA (dispensaires sociaux autogérés solidaires), quels que soient leurs objectifs par ailleurs ;
· Comme nous rassemblons des médicaments pour aider les dispensaires et que le lobby des industries pharmaceutiques a fait interdire par l’Europe la collecte de médicaments, nous ne voulons pas prendre de risques, même si c’est peu probable. Pour nous, si la collecte est illégale, se refuser d’en faire est immoral ;
· Comme les Kifas, nous ne demandons qu’à disparaître avec la disparition des besoins encore si importants.
Participent à notre action tous ceux qui le désirent, personnes ou structures, en fonction de leurs dispositions. Des associations comme Alsace-Crète, les Amis des Dispensaires Autogérés Grecs, des structures CGT, etc. Elles le font de manière autonome ou coorganisée. Nous avons de bons contacts et liens avec les associations liées à la Grèce et avec nos dépôts-relais : CARDEK, ASTU, Église Orthodoxe Grecque, Mairie de Ranrupt, etc.
Nous diffusons aussi des informations sur la situation en Grèce car l’information fait dramatiquement défaut en France où la communication est majoritairement entre les mains de 9 oligarques qui possèdent les grands moyens d’information.

JCS – Qui aide-t-il ?

MD – Nous envoyons les médicaments aux dispensaires qui continuent la lutte pour un droit à la santé universelle et gratuite.

JCS – Qui sont les dispensaires autonomes ?

MD – Le premier dispensaire est né en Crète en 2008 pour apporter des soins à un afflux de réfugiés. Avec l’aggravation de la « crise », se sont créés vers 2011 une cinquantaine de dispensaires qui prennent en main les soins de santé primaires pour de plus en plus de Grecs touchés par les memorandums. Leur objectif, en même temps que de soigner, était de prendre en charge la lutte pour résoudre la cause du problème de ce système de santé détruit, faire que l’État assume ses responsabilités.
L’évolution qui s’opère avec l’épuisement des participants, la loi de 2016, le changement de Syriza fait que l’État, au lieu de prendre ses responsabilités, sans supprimer pour autant les dispensaires comme le réclamait l’Ordre des pharmaciens, en soutient une partie par ses subventions, prenant soin de ceux qui sont « dans les clous » (ce qui est déjà bien) mais laissant les autres sur la touche.
Un des KIFA les plus importants est sans doute l’Helleniko d’Athènes ; il refuse subventions et dons en argent tout en recevant volontiers les médicaments. Ayant compris que celui qui paye l’orchestre choisit la musique, il veut rester libre ; il a fourni à des hôpitaux en rupture les médicaments nécessaires pour pouvoir poursuivre des traitements anticancéreux.
Un autre exemple de la différence entre « charité » et « solidarité » qui caractérise l’objectif des dispensaires est donné par l’« Autre Homme », une soupe populaire lancée à Athènes et maintenant largement développée en Grèce qui a la particularité d’être un partage convivial : ceux qui préparent mangent avec ceux qui viennent manger. Se retrouver libre sur un pied d’égalité fait la différence entre charité/assistance et solidarité.

JCS – Y-en-a-t-il en Crète ?

MD – Tu sais qu’il y en a au moins un à Héraklion puisque tu as rencontré Giannis là-bas pour le transport des médicaments que tu as organisé. Il y en a à Rethymnon et Agios Nikolaos. Mais je pense qu’il y en a dans les regroupements de quartier, à rencontrer.

JCS – De quoi le Collectif Solidarité Grèce 67 a-t-il besoin ? Comment peut-on le rejoindre et l’aider ? 

MD – Qu’Alsace-Crète continue ce qu’elle fait : soutien à l’hôpital de Moires**, transport de médicaments et contact avec les dispensaires sur place, s’informer et informer sur ce qui se passe, comme d’autres structures le font aussi.
Pour ceux qui vont en Grèce, apporter des médicaments, s’informer, prendre contact, car l’expérience des dispensaires nous sera bientôt utile, la Grèce servant de laboratoire à la « privatisation » de la Santé.
Pour tous ceux qui veulent aider, prendre contact avec nous et voir ce qu’on peut faire concrètement en fonction des possibilités et envie d’investissement de chacun, ne serait-ce que rassembler quelques médicaments non périmés, non utilisés.
Vous pouvez nous communiquer votre adresse mail en précisant :
– si vous voulez recevoir les informations et être tenus au courant ;
– ου participer au collectif, aux débats, aux stammtisch – réunions mensuelles.

JCS – Le Collectif Solidarité Grèce 67 accepte-t-il les dons en argent ?

MD – Non, n’ayant pas de structure « responsable » nous n’acceptons pas les dons d’argent.
Nous répercutons les collectes de soutien organisées par d’autres : ADAG, l’Association des Amis des Dispensaires Autogérés Grecs a les mêmes objectifs que nous et nous soutient en finançant des envois et elle a fait une collecte permanente pour les dispensaires.

Merci pour vos dons à Alsace-Crète – Hôpital de Moires (chèque à envoyer à Alsace-Crète 8 rue des Cigognes 67000 Strasbourg)